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TEST · REVIEW · CRITIQUECONSOLE SUPER NINTENDO (16-bit)


Un jeune garçon recherche son père. Le joueur, lui, trouve l'émerveillement.

Illusion of Time

Illusion of Time

ガイア幻想紀 (Gaia Gensōki, trad: "L'Histoire Fantastique de Gaia"), Illusion of Gaia (USA)
Suppléments:

Distorsions et Autres Effets


Cartographie et Astronomie


Traductions et Trahisons


Morceaux Choisis


Les Mystérieuses Cités de...


Séquence Relaxation

 Super Nintendo

Développeur:
Quintet

Editeur:
Enix
Genre:
Aventure

Joueurs:
1P

Dates de sortie
27.11.1993 Japon
09.1994 USA
07.1995 Europe
bonne Difficulté:

87%Graphismes
91%Animation
90%Son
89%Jouabilité
80%Durée de vie

89%89%

Vous souvenez-vous de cet été où une soif terrible vous prit ? C'était l'été 1995, et cette aridité qui frappait les petits Français n'était pas un trouble ordinaire: ils avaient soif de RPG, de jeux de rôles braves, intelligents, épiques. Depuis Secret of Mana, depuis qu'ils avaient goûté le nectar des dieux, ils souffraient de déshydratation, d'un manque prolongé d'exposition à leur nouveau genre favori.

Nintendo France, sommelier réfractaire, consentit finalement à faire un effort, à lever ce petit doigt qu'ils avaient lourd pour traduire et mettre sur le marché un nouvel RPG... tous les ans ! pas plus, et ainsi jusqu'à la retraite finale de la Super Nintendo, avec plus ou moins d'assiduité. Se succédèrent: Mystic Quest en 1993, Mana en 1994, Illusion of Time en 1995, Secret of Evermore en 1996, Terranigma en 1997. Tous accompagnés d'un guide très chic mais odieusement détaillé qui nous affligeait de honte quand on cédait à la tentation de le consulter. On vit d'autres RPG, comme Breath of Fire, mais par la volonté de distributeurs indépendants.

En 1995, toutefois, depuis la glorieuse quête de l'arbre Mana, nos âme aventurières étaient devenues de vastes déserts. Vingt-et-un jours en radeau en pleine mer n'auraient pas fait pire. Tout était bon à prendre. Si bien que, quand Illusion of Time arriva, on n'y regarda pas à deux fois et on lui fit un triomphe. Le genre d'accueil réservé à ceux qu'on a espérés et attendus pendant très longtemps. La cartouche touchait à peine les rayons qu'on se l'accaparait, et on rentrait y jouer chez soi le coeur en fête. Mais Illusion of Time étancha-t-il vraiment notre soif de RPG ? Ou servit-il surtout à épancher un ressentiment grandissant envers Nintendo France ?

Le Monde est à Nous !

Contrairement à Secret of Mana, où les héros n'ont d'autres noms que celui qu'on leur donne, le jeune garçon que l'on incarne, Paul, et ses compagnons non-jouables, ne peuvent être renommés par le joueur. Ce premier changement est somme toute annonciateur de ceux qui vont suivre: tous restreignent la liberté qu'on avait acquise dans Secret of Mana. Même avec l'excitation qui suit une longue privation, une expérience de jeu qui commence avec moins de liberté que la précédente provoque naturellement une déception. Pour beaucoup de joueurs, ce fut sans doute l'impression spontanée ressentie après les premières heures passées sur Illusion of Time. Heureusement, celui-ci a bien d'autres choses à offrir.

Depuis que son père Octave a disparu alors qu'ils exploraient ensemble la mystérieuse tour Pandémone, Paul est orphelin. Il vit désormais avec ses grands-parents à Cap Sud, un village côtier bâti sur les rivages du monde original qui est celui d'Illusion of Time. Son originalité réside dans la combinaison d'un univers imaginaire avec des éléments de notre culture et de notre histoire terrestres. Dans un sens, c'est le cas de beaucoup de RPG, mais ici des lieux bien connus, même s'ils ne sont pas toujours formellement identifiés, servent de fond aux diverses scènes d'aventure. Par exemple, là où un RPG ordinaire nous ferait visiter un vieux temple ou la forteresse d'un forban, Illusion of Time nous envoie dans les plaines Nazca, sur la Grande Muraille ou encore au milieu des pyramides égyptiennes.

Tous ces sites, d'ailleurs classés par l'UNESCO, ont en commun d'être très anciens et leur construction souvent auréolée de mystère. Parmi eux viennent aussi se glisser quelques endroits mythiques comme le continent Mu ou la tour de Babel (changée en tour Pandémone en français). Seulement, il n'est jamais question de leurs pays d'origine. L'histoire rassemble ces monuments dans une espèce de réalité parallèle, de passé fictif moins distant qu'il n'y paraît, influencés par l'approche d'une comète qui, comme dans Chrono Trigger, est à la fois l'objet et l'antagoniste de la quête. C'est ce qu'on nous explique, avec plus ou moins de clarté, à la fin du jeu.

Quintet et Associés

Quoique publié par Enix, l'esprit Dragon Quest est totalement absent d'Illusion of Time. La personnalité qui prédomine tout au long de l'aventure est celle qu'insufflent la petite équipe de développeurs de Quintet et les trois intervenants externes du générique: la scénariste Mariko Ohara, le character designer Moto Hagio et le compositeur Yasuhiro Kawasaki. Le fait que les deux premiers soient des femmes est loin d'être insignifiant. On devine que cela eut un effet déterminant sur le caractère si particulier du jeu.

Des trois collaborateurs, on ne sait quasiment rien de Yasuhiro Kawasaki. Malgré sa formidable partition, il sera venu et aura disparu avec Illusion of Time. A croire qu'il voyageait sur le dos de la comète ! Moto Hagio en revanche est une mangaka respectée, surtout dans le genre shōjo, le manga pour jeunes filles. Une caractéristique de son travail est qu'elle s'est essayée à la science-fiction, genre qu'elle apprécie, et qui est aussi le domaine de prédilection de Mariko Ohara, à la base une romancière. Toutes deux, de surcroît, ont écrit des histoires de vampires (l'un des boss du jeu). Sans être de la vraie science-fiction, Illusion of Time puise dans le genre certaines de ses idées et s'en sert pour étayer sa backstory où l'on parle de bio-technologie et d'humains avancés.

Quintet avait misé tant d'espoirs sur le parrainage de ces personnalités, qu'au dos de la boîte japonaise, chacun a droit à son nom et à sa photo. On peut y voir aussi celle du game designer, Tomoyoshi Miyazaki, l'un des fondateurs de la compagnie avec Masaya Hashimoto, qui occupe ici le poste de réalisateur. Le curriculum des deux hommes contient une référence impressionnante: ils sont les auteurs des deux premiers Ys. Série dont nous ne sommes pas fans sur 1UP, mais qui au Japon jouit d'un culte digne d'une secte New Age.

Quintet est une compagnie qui fut intimement liée à la Super Nintendo. Leur premier jeu, Actraiser, aura été lancé en même temps que la console sur tous les continents. Et, après que celle-ci ce soit éteinte, leur déclin aura été rapide et ils n'auront pu survivre bien longtemps. Pour elle, ils auront développé six jeux: les deux Actraiser; un titre en marge, Robotrek, qui est le seul à ne pas être sorti en Europe; et cette étrange trilogie — dans le sens antique du terme: "ensemble de trois tragédies autour d'un même thème légendaire" — que sont Soul Blazer (lui-même dérivé d'Actraiser), Illusion of Time et Terranigma. Les trois jeux ont des points communs thématiques et représentent la pièce maîtresse de leur courte mais mémorable oeuvre.

Les Compagnons de la Grotte Bleue

Toutefois, ce qui anime vraiment l'histoire du jeu est la relation de Paul et de ses amis, et celle avec le personnage de la princesse Flora en particulier. Au départ, on pourrait croire à un triangle amoureux qui implique la fée Lili, mais la scénariste choisit finalement de ne pas explorer cette voie (dommage, ça aurait un peu pimenté les choses... les auteurs de fan fictions peuvent encore se rattraper !).

Illusion of Time est réputé pour ses dialogues-fleuves qui semblent plus longs encore à cause de l'affichage épais dans lequel ils sont présentés. Il est plux axé sur les dialogues que d'autres RPG et jeux d'aventure, surtout dans sa première moitié, où le discours prend le pas sur l'action; le tout premier combat n'arrivant pas avant une bonne demi-heure de jeu. Le bon côté de la chose est que les personnages gagnent en consistance et sont plus vivants, le mauvais côté, eh bien, est que ce n'est pas du Flaubert.

Véronique Chantel, la traductrice accréditée de Nintendo France, s'est occupée seule de la localisation, visiblement depuis la version anglaise. Cela donne des répliques qui font fréquemment grincer des dents tant elles sonnent faux et manquent de naturel. On sent bien par moments que, comme ses confrères américains, elle travaille sans contexte. A sa décharge, le texte anglais est parsemé d'erreurs de traduction parfois très sérieuses (cf. le supplément Traductions et Trahisons) et lui non plus n'est pas bien fameux. La question, évidemment, est de savoir ce que valait le texte de Mariko Ohara à l'origine mais c'est une question à laquelle nous ne pouvons pas répondre. Dans sa forme actuelle, en français, les dialogues atteignent le niveau d'un sitcom du Club Dorothée, avec occasionnellement quelques perles (cf. notre autre supplément, Morceaux Choisis, sélection de citations croustillantes).

Thèmes

A Cap Sud, Paul a donc trois amis, Luc, Eric et Jonas, qui seront rejoints plus tard par son cousin Nico. Ils ne participent pas à l'action proprement dite, mais sont entraînés à la suite de Paul, souvent comme instruments narratifs. Celui-ci a un peu le profil du héros malgré lui. Il ne se lance pas dans une quête mais les évènements l'y précipitent lorsque la fille du roi Edmond, avec son cochon Hamlet, vient se réfugier chez ses grands-parents. Prisonniers du souverain, ils s'échapperont ensemble et se retrouveront bon gré, mal gré, embarqués dans une aventure où Paul, guidé par l'esprit de son père, devra mettre la main sur les six statues Hexade pendant que le monde subit l'influence croissante de la comète.

Si le style est trop mauvais pour recevoir de sincères éloges, le scénario aborde des thèmes, dépeint des situations, qu'il était assez rare de voir dans un jeu vidéo de cette époque. La pauvreté et la souffrance morale du héros, qui a perdu ses deux parents, sont souvent mentionnées au début. Les rapports entre les personnages sont plus développés, l'auteur n'a pas peur d'évoquer l'affection qui les lie, y compris l'amour entre Paul et Flora. Certains personnages se posent des questions profondes, quasi-métaphysiques. On y parle de solitude, d'esclavage, de déshumanisation, des dilemmes de la chaîne alimentaire (avec, en filigrane, un message pro-végétarisme très moderne) et de mort.

Un autre thème fort qui revient fréquemment est celui de la famille. A l'exception de celle d'Eric, le plus jeune de la bande, on remarque que toutes sont disjointes. Dans le jeu, la famille est la quête personnelle de chacun. D'autres thèmes, en revanche, ont souffert du passage d'une langue à l'autre. C'est le cas de la religion, omniprésente dans la version japonaise, elle n'est plus ressentie aussi vivement. Il y a également beaucoup d'humour, mais l'incertitude règne quant à qui en est vraiment l'auteur, Ohara ou ceux qui ont révisé son texte.

Bien que l'on voyage de par le monde, que l'on explore une Asie remaniée, la culture nippone y est étonnamment absente. Les mânes bleutées en sont l'une des rares traces. Mais c'est un jeu bien japonais cependant, autant pour le gameplay que pour cette poésie naïve qui imprègne certaines scènes. Quand elle devient trop fleur bleue, comme durant la romance de Luc et Lili, on se dit, peut-être à tort, que c'est le sexe de certains membres de l'équipe qui prend le dessus. Et puis, bien sûr, il y a l'inoubliable séquence du radeau, où Paul et Flora partagent ces jours qui vont les rapprocher de manière cruciale. Pour le joueur, cela se traduit par peu de gameplay, l'impression d'être aux commandes d'une lente cinématique, mais l'idée est assurément brillante et achève de convaincre que Quintet a sa place parmi les grands créateur de jeux.

Chrysaor et Likéfia

Mais le véritable test, c'est évidemment dans l'action pure qu'il se passe. Paul, enfant téméraire, se bat avec une flûte. Plutôt que de jouer faux et de casser les oreilles aux monstres avant de leur casser la gueule, il s'en sert comme d'une épée, et, avec L ou R, comme d'un bouclier, qui attire aussi vers lui des objets. Le système de combat, en temps réel, est très précis, très intuitif. La prise en main est immédiate et le reste même lorsque la panoplie de coups s'étend (la seule exception étant la Toupie et la Barrière Bleue, assez lourdes, mais étant des techniques puissantes, c'est sans doute voulu). On n'aurait jamais soupçonné que le programmeur d'Ys fût aussi celui d'Illusion of Time.

Un peu partout dans le monde, des portails magiques sont disposés en des points stratégiques. Ils conduisent Paul, qui seul peut les voir, dans une sorte de dimension parallèle où réside une entité connue sous le nom de Gaia, incarnation de la Terre. Là, il peut sauvegarder, recevoir un conseil, mais il a surtout, durant les scènes d'action, la possibilité de se transformer en un personnage complètement différent, un homme adulte, un guerrier aux longs cheveux blonds, connu en français sous le nom de Chrysaor. Vêtu d'une armure, d'une grande cape, maniant une épée à double tranchant, il se contrôle comme Paul et n'est pas tellement plus puissant, mais il possède ses propres coups spéciaux et surtout, beaucoup plus de classe.

Bien plus tard dans le jeu, au dernier vrai palais, la Pyramide, les concepteurs réservent une dernière surprise, tôt gâchée par la notice, le guide et la presse de l'époque, de sorte qu'elle n'avait plus rien d'une surprise le temps venu et qu'on l'attendait un peu comme un remboursement de dette. Tout ça pour dire (à notre tour de la gâcher) qu'une nouvelle transformation nous est offerte. On a la faculté de devenir Likéfia, un être d'énergie pure au corps malléable comme le T-1000 de Terminator 2. Ses pouvoirs lui permettent de léviter, de se liquéfier pour passer au travers de certains sols, de changer ses bras en fouets, de tomber en flèche, de s'enflammer pour se protéger, plus tard de tirer des phénix de feu de ses mains. On a l'impression d'être aux commandes d'un super humain, d'une sorte de demi-dieu, ce qui recoupe bien avec la tournure que prend le scénario à ce moment. Et même sans l'effet de surprise, l'idée fonctionne à merveille: on est en extase devant cet ultime don résolument divin.

Illusion of RPG

Quoique ces séquences d'action se déroulent dans des endroits variés et pas juste dans les traditionnels palais, elles sont confinées de manière très précise dans la structure du jeu. La plupart sont géographiquement séparées du reste et on doit passer par la carte pour y accéder. Le lieu même est divisé en zones avec un nombre fixe d'ennemis qui ne reviennent pas une fois détruits (cette règle s'assouplit vers la fin). Et l'un des principes fondamentaux du gameplay justement est qu'il est important de tous les éliminer, car le dernier monstre de chaque zone libère un power-up qui augmente une caractéristique (vie, force, défense) d'un point. On est même aidé par un radar dans notre mission d'extermination. Tous les ennemis laissent aussi derrière eux un grenat — une sphère métallisée en réalité — dont on reçoit un continu une fois qu'on en a collecté cent. Faveur peu utile, la sauvegarde ramenant plus près que le continu.

C'est un modèle de jeu assez curieux. Pas déplaisant, mais terriblement restrictif dans un sens, qui confirme bien cette perte de liberté que nous évoquions au début. Pour bien progresser, il ne faut pas épargner un seul ennemi et tous les joueurs finiront, à peu de chose près, avec le même statut (PV 40 FCE 30 DEF 32; vérifiez sur votre sauvegarde si c'est bien le vôtre aussi !). Ces niveaux heureusement sont très bien faits, pas forcément d'une diversité ou d'une inventivité folles, mais l'équilibre entre le combat, la réflexion et l'exploration est tel qu'on ne s'y ennuie pas. Et comme les ennemis ne reviennent jamais, on évite joyeusement le côté fastidieux.

Cependant, cela soulève un point important au sujet de la nature d'Illusion of Time. Pourquoi un RPG nous encourage-t-il, nous oblige-t-il même, à tuer tous les ennemis ? C'est moins de latitude que dans un jeu d'action ! La réponse est que Illusion of Time n'est pas un RPG. Il n'y a pas d'expérience, ni de niveaux d'expérience, pas de combats aléatoires. Dans les villages, aucune phase d'achat puisqu'aucune phase d'équipement; Paul et ses formes utilisent les mêmes armes du début jusqu'à la fin. Même le rôle des quelques items est limité. Seuls deux permettent de guérir, l'un est à usage immédiat, l'autre, l'herbe, en quantité fixe pour tout le jeu. La progression est segmentée en destinations que l'on traverse linéairement; on ne peut pas revenir plus loin que la seconde moitié du monde. L'histoire, les villes et la pseudo-liberté dont on dispose sont bien celles d'un RPG, mais c'est tout et bien trop peu pour se réclamer du genre. Illusion of Time n'est en fait rien d'autre qu'un jeu d'aventure, comme Zelda, mais un jeu d'aventure d'une race particulière où l'histoire prédomine.

La Mélodie de la Mémoire

Une fois que l'on a compris cela, sa nature devient plus claire et nos attentes surtout plus réalistes. On est alors à même d'apprécier Illusion of Time pour ce qu'il est vraiment plutôt que pour la façon dont le service marketing de Nintendo nous le vendait. S'il n'est jamais magnifique, il est doté de beaux graphismes qui brillent surtout par leur diversité. Il y a énormément de parterres différents et le style intérieur des maisons change avec la ville, ce qui communique bien l'idée de voyager aux quatre coins du monde. Les surfaces sont nombreuses, soignées, même si les graphistes misent parfois trop sur elles. L'absence de détails décoratifs se fait sentir et sur une surface trop unie cela peut donner des résultats agressifs à l'oeil, comme ce gazon qui, d'Itoryville à Célesto, irrite la pupille.

Les sprites, assez menus, sont joliment exécutés et plusieurs créatures se démarquent par la qualité de leur dessin et le soin de leur animation: les flammèches dans les orbites des crânes, les blocs de pierre qui s'empilent pour former un golem, ou encore l'iridescence de Likéfia. Puisqu'on est à parler de l'animation, une chose qui m'avait vraiment saisi à l'époque, je me demande si je suis le seul, est la mer. Je n'avais jamais vu un mouvement d'eau comme celui-ci dans un jeu vidéo, si fluide qu'il en est presque hypnotique. C'est particulièrement évident dans le nid de pie du Navire d'Or. Les amis de Paul malheureusement sont moins gâtés que les monstres et la mer. Tous ressemblent à des pantins, avec des corps ronds et des membres fins qu'on dirait de bois. C'est peut-être pourquoi on a du mal à s'attacher à eux.

Il y a encore bien d'autres choses à dire sur la technique, souvent astucieuse, d'Illusion of Time, et c'est pourquoi nous lui réservons un supplément entier, Distorsions et Autre Effets, mais il ne faut surtout pas manquer de parler du son. Si les bruitages font bien leur boulot, la musique de l'insaisissable monsieur Kawasaki fait mieux que ça, elle nous emporte dans l'univers du jeu comme la tornade emporte Dorothy au pays d'Oz. Avec ses percussions puissantes, elle nous arrache les pieds du sol, et wouush! nous jette, entre les coups de timbales, dans les catacombes des pharaons. Ou alors elle nous dépose doucement au milieu de quelque mystérieuse ruine avec chaque note de sa flûte de pan. De la fanfare de l'ouverture jusqu'à la symphonie furieuse du duel final, véritable morceau d'anthologie parmi les combats de boss, elle maintient une qualité élevée tout du long. Ce n'est pas une exagération de dire que la musique confère au jeu une bonne moitié de son atmosphère, et cela sans jamais tomber dans le piège du folklorique.

Au Détour d'un Chemin de la Cordillère des Andes

Ce n'est pas le RPG que nous attendions tous après Secret of Mana. Ce n'est pas même le jeu formidable qui aurait pu nous faire oublier cela. Une fois terminée, on peut avoir envie de recommencer la quête quelques mois plus tard, mais la tentation de l'abandonner en cours de route sera grande; un peu à cause des longueurs dans les dialogues, beaucoup à cause du manque de liberté, aussi parce que l'action met trop de temps à arriver puis devient trop soutenue. Le dosage est loin d'être parfait. Les scènes originales, comme le radeau, l'arrivée au palais zombi, qui ne tombent dans aucune catégorisation précise, sont absentes de la seconde moitié. Cela retire quelque chose au jeu, diminue son côté imprévisible, et lui donne au contraire une symétrie combats-villages mal venue.

Illusion of Time a des faiblesses si évidentes qu'il n'y a qu'à piocher pour en trouver une bonne. Prenez Flora, la dulcinée du héros, aucun joueur ne semble pouvoir la piffer. Cela tient à son sprite plus encore qu'à son comportement. Malgré tout, on aime Illusion of Time. Encore un coup de cette indécrottable nostalgie qui nous lie à tout et n'importe quoi ? Je ne crois pas. Il a l'originalité en sa faveur, il y a toujours un petit quelque chose (ou un grand quelque chose, dans le cas de Likéfia) qui vient rompre la monotonie qui risquerait de s'installer: les fantaisies du Mont Chiendent, la vision du futur à Angkor, les allées secrètes de Prospéra, ou même encore plus petit que ça: le jeu des serpents à Dao, les habitants d'Autochtoville qui ont toujours un choix à offrir, le cherchez l'erreur chez Degas.

Pas un joueur, pas même celui féru de RPG qu'on a trompé, n'arrive à lui donner moins qu'un avis assez favorable. C'est qu'on ne peut nier non plus la qualité de la réalisation, soignée en tout point. La jouabilité irréprochable des scènes d'action parle pour elle. Et puis, peut-être la qualité décisive, la plus nébuleuse aussi, est que le monde d'Illusion of Time, en dépit du français bizarre qu'on y parle, est un monde agréable, vivant, intime, où l'on se sent bien. Même si l'interactivité est réduite, qu'on ne peut quasiment rien faire dans les demeures, on s'y sent comme chez soi. Jamais génial, mais toujours intéressant, c'est comme ça que se présente Illusion of Time, en jeu bien composé. Mais il y a encore des sceptiques, je le sens bien, des lecteurs qui doutent de ses mérites. On a déjà fait remarquer que son point de départ anticipe celui de Chrono Trigger, mais il y a un autre jeu que Illusion of Time a, sinon inspiré, au moins devancé. Allons, vous le savez bien, ce jeu où un enfant peut aussi se changer en guerrier adulte et apprend des mélodies sur son ocarina...

Paragraphes Bonus: Samuel le Bijoutier

Attention, nous allons dévoiler quelques surprises du jeu. Illusion of Time contient une sous-quête, la seule. Son but est d'apporter 50 Rubis de Feu à Samuel le bijoutier, qui attend dans chaque village sous une apparence locale. Il distribue aussi quelques récompenses pour motiver. Trouver tous ces joyaux sans consulter le guide tient du miracle ou de la folie: il faut passer au peigne fin chaque recoin du décor car ils peuvent se cacher n'importe où; c'est d'ailleurs la seule chose qu'il y a à y trouver. Une fois les 50 rubis remis au marchand multiface, celui-ci nous dévoile "ses secrets". Sans préambule, on est conduit à un manoir hanté au fond duquel habite un boss de Soul Blazer, présenté ici sous le nom de Bras de Fer (Solid Arm en anglais), qui est en fait la forme réelle de Samuel. Le vaincre n'apporte rien de particulier.

Cela devient intéressant lorsqu'on regarde cette sous-quête autrement qu'en termes de jeu. Pour pouvoir obtenir l'un des rubis, on est obligé, à Freesia, de commettre un acte de délation. Un esclave s'est réfugié dans une maison et en le dénonçant, l'un des marchands nous récompense en nous offrant le joyau. Mais en se retrouvant face à face avec Solid Arm, il nous dévoile une chose importante: (traduction faite depuis l'anglais plutôt que de reprendre le texte français) "Il y a longtemps, le Blazer descendit des cieux et me plongea dans un sommeil éternel. Mon pouvoir est contenu dans les Rubis de Feu éparpillés à travers le monde. J'ai essayé bien des choses pour revenir à la vie. C'est moi qui manipulais le traffic d'esclaves. Je me suis servi du travail forcé pour retrouver les rubis mais ça ne m'a pas rendu mon pouvoir assez vite."

En somme, en rapportant tous les rubis à Samuel, Paul a servi les desseins de Solid Arm et lui a redonné la vie. Et la chose à voir ici, est que le désir du joueur de réunir ces rubis n'était motivé que par son âpreté au gain. Pour tout obtenir, pour connaître les secrets, il aura commis des mauvaises actions en plaçant son but final, dont il ne connaissait rien, au-dessus de tout. Pour parvenir à lui, il aura triché pour localiser les rubis et surtout aura conduit Paul à trahir un homme. C'est une immense leçon de morale pour tous les joueurs, car combien de jeux nous incitent à tout trouver, tout amasser, coûte que coûte, sans finalement d'autre raison que le gain absolu ?

le 25 octobre 2011
par sanjuro



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