A moins d'avoir été un petit n'enfant japonais (mais oui, vous savez, ces lutins souriants qui étreignent une peluche Ultraman) en 1987, il est sans doute impossible de comprendre complètement ce qui se passe dans Yume Kōjō Doki Doki Panic. Issu du FNS Super Special 1, un festival dédié à des programmes de Fuji TV et dont les mascottes, la famille Imajin, visiblement d'influence arabe ou perse, sont les héros de cette aventure, Doki Doki Panic est avant tout un jeu Nintendo. Si Fuji TV partage la ligne de copyright avec eux, c'est semble-t-il uniquement parce qu'ils sont les détenteurs des droits du dit festival et non pour avoir participé à la réalisation.
C'est d'ailleurs pour cela qu'il aura été si facile pour Nintendo, d'un point de vue légal, de transformer et distribuer ce titre comme un jeu Super Mario une fois la famille Imajin retirée. Initialement, Doki Doki Panic est sorti au Japon sur le lecteur de disquettes de la Famicom, le fameux FDS, Famicom Disk System, capable de lire des disques à double face. A quelques moments du jeu, dont notamment au tout début après le générique, on vous demande d'éjecter le disque et de le retourner pour pouvoir continuer de jouer, à cela s'ajoute ce qui ressemble fortement à des temps de chargements avant chaque niveau. Ce n'est que le 14 septembre 1992, soit cinq plus tard, que les Japonais pourront enfin jouer sur cartouche à la version occidentale que nous connaissons tous, dite "Super Mario USA".
L'Histoire Sans Fin était un film assez récent alors, et c'est peut-être l'une des références qui se cache derrière le thème de ces deux enfants capturés dans le pays fantastique d'un livre magique. Ce sera aux quatres membres de la famille Imajin (Papa, Mama, Imajin, le fils, et Lina, la fille) de les sauver, puisque, à l'inverse de Super Mario Bros. 2, il faut terminer le jeu avec chacun des héros pour pouvoir voir la fin. Ce qui peut ressembler à un calvaire par rapport à ce que nous connaissons n'en était pas forcément un sur FDS puisqu'il était possible de sauvegarder ses parties. Mais il n'y a pas à se leurrer, sauvegarde ou pas, la difficulté de Doki Doki Panic est bien plus élevée.
Dans un jeu comme dans l'autre, les aptitudes des personnages sont différentes, untel est doué pour le saut, un autre pour arracher les touffes d'herbe, courir, ou planer. L'idée de Super Mario Bros. 2 est d'utiliser le personnage qui convient le mieux pour surmonter telle ou telle situation, les niveaux étant souvent conçus pour qu'un individu s'en sorte mieux que les autres. Dans Doki Doki Panic en revanche, puisque chaque niveau doit être traversé avec tous les personnage, leurs différentes capacités servent uniquement à changer l'expérience de jeu pour en atténuer la répétitivité. Vous souffrirez plus avec Papa qu'avec Lina dans le quatrième monde, prendrez un passage que vous ne pourriez pas atteindre sans Mama au dernier niveau du second monde et ainsi de suite.
Puisque les personnages venaient sans univers propre, Nintendo ne s'est pas gêné pour leur créer un royaume imaginaire. Et plutôt que d'être terre à terre en essayant de respecter leurs origines orientales, ils ont simplement créé selon leurs idées et envies. A l'image de son atmosphère, les origines du jeu sont assez mystérieuses, bien moins toutefois que Super Mario Bros. 2 puisque, à l'inverse de ce dernier, un générique de fin vient nous présenter l'équipe de développement où l'on peut voir notamment les noms de Shigeru Miyamoto, qui agissait déjà en tant que producteur, et Kōji Kondō, compositeur comme de coutume. Les fans avertis, ou bien informés, reconnaîtront également les noms de Ten Ten (co-réalisateur du premier Zelda avec Miyamoto), ici crédité dans les fonctions diverses, et également un programmeur du même Zelda. Entre Doki Doki Panic et ce dernier on peut d'ailleurs remarquer que les équipes se sont bien agrandies. La réalisation est quand à elle signée un certain "Chappy".
Un aspect très intéressant de Doki Doki Panic quand on le compare avec Super Mario Bros. 2 est de voir à quel point ce dernier a été amélioré. Ce sont certes des changements qui relèvent plus du détail que du remaniement, mais l'impact considérable qu'ils ont eu sur le jeu est surprenant et offre matière à réflexion. Comment, par exemple, en animant certains éléments du décor, ou rajoutant des frames d'animation à quelques sprites, en remixant et développant les musiques, en ajoutant de la couleur sur les touffes d'herbe, on peut donner à l'ensemble beaucoup plus de vie. La musique est un exemple frappant, dans Doki Doki Panic, même si les mélodies sont déjà là, elles sont un peu plates. Dans Super Mario Bros. 2, elles gagnent du volume, de la dimension, et les bruitages également. Il y a presque un effet de relief, comme si les personnages bondissent hors de leur jeu et la musique nous enveloppe.
Paradoxalement, le gameplay relativement inchangé semble pourtant lui aussi avoir été nettement amélioré. Les mouvements des personnages ne sont pas toujours en harmonie avec la physionomie des Imajin (le vol de Lina par exemple est quelque peu grotesque, sans l'élégance naturelle de la princesse), alors que Mario et ses amis réagissent comme on l'attend aux pressions sur la manette. Bien sûr, le fait que l'on ne puisse pas courir dans Doki Doki Panic en appuyant sur B comme on le peut dans tous les Mario 2D change énormément de choses et alourdit le contrôle de manière significative, même si ce n'est pas la seule raison. Doki Doki Panic est un très bon jeu mais imparfait, ce qu'il y a de remarquable, c'est comment quelques changements bien placés permettent de l'élever à des hauteurs insoupçonnées. Si cette méthode était appliquée à d'autres, il y aurait de quoi transformer de grands titres en chefs-d'oeuvre et de mauvais jeux en bons jeux.
Après avoir joué à Super Mario Bros. 2, on se demande même comment certains choix initiaux ont pu être faits si ce n'est à cause de contraintes techniques, par exemple le cas de l'affreux écran vert et vide du jeu bonus. Cela dit, gardons-nous bien de commettre l'impardonnable erreur de nous en prendre trop sévèrement à Doki Doki Panic, car il y a bien une chose à garder à l'esprit: tout amélioré qu'il soit, Super Mario Bros. 2 n'aurait jamais vu le jour sans les aventures de la famille Imajin. Sans eux, sans leurs efforts pour secourir deux enfants prisonniers d'un gros crapaud baveux, Mario, Luigi, Toad et la princesse n'auraient pas eu de poireaux et de citrouilles à lancer, de Shy Guys, Birdo et Phanto à affronter. Contrairement à d'autres jeux, Doki Doki Panic n'a pas été complètement sacrifié sur l'autel du mercantilisme Nintendo, le jeu original existe toujours, même si ce n'est qu'au Japon. Et cela en soi, est une pensée rassurante.
le 19 décembre 2005
par sanjuro