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TEST · REVIEW · CRITIQUECONSOLE SUPER NINTENDO (16-bit)


Un jeu appétissant mais qui file de sacrées indigestions, diarrhée incluse.

Out to Lunch

Out to Lunch

Suppléments:

Les Grades

 Super Nintendo

Développeur:
Mindscape

Editeur:
Mindscape
Genre:
Plates-formes

Joueurs:
1-2P (alternés)

Dates de sortie
11.1993 USA
01.1994 Europe
atroce Difficulté:

82%Graphismes
83%Animation
80%Son
58%Jouabilité
65%Durée de vie

58%58%

Pour célébrer une longue et fructueuse carrière dans le jeu vidéo (côté paddle, s'entend) vous aviez décidé d'emmener vos amis dîner dans un restaurant parisien très chic, Chez Pierre, situé en plein Montmartre. L'intérieur était propre et avenant, avec des couleurs pastel comme dans un gentil jeu de plates-formes. Curieusement pourtant, il n'y avait personne d'autre que votre groupe. Après vous être installé à la table du milieu, vous passiez votre commande au serveur, un bonhomme long et maigre avec une moustache noire, sosie mondain de Luigi. En attendant que vos plats fussent prêts, vous vous mettiez à grignoter des petits pains.

Quand la corbeille fut vide, une heure s'était écoulée et vos assiettes n'étaient toujours pas remplies. Quelque peu irrité malgré votre impatience légendaire de gamer, vous interpelliez le garçon qui, assis dans un coin, jouait logiquement au Game Boy.

— C'est que, monsieur... le chef...
— Quoi, le chef ?
— Monsieur... les légumes !
— Quoi, les légumes ? Mais enfin, expliquez-vous !
— Eh bien, voilà, les légumes se sont enfuis et le chef est parti les retrouver aux quatre coins du monde.
— ...
Vous voulez rire ?
— Non, monsieur. Je sers de la nourriture, pas des blagues.

D'un air méditatif et avec une lenteur calculée, vous essuyiez votre bouche très sèche avec votre serviette avant de la jeter vivement sur la table. En vous voyant vous lever, vos amis sentirent passer votre résolution et comprirent qu'ils n'étaient pas près de manger.

— Dites-moi où est le chef à présent que j'aille lui donner un coup de main. Moi, les jeux vidéo, ça me connaît.
— Il est en Suisse, monsieur.
— Laissez-moi deviner, il est après le Chocolat Scélérat ?
— Non monsieur, après la Meule Veule.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, un mot sur le titre. Ce jeu s'appelle Out to Lunch. En Europe, sur la boîte, il est précédé d'un "Pierre le Chef is..." qu'on ne peut pas sérieusement prendre comme faisant partie intégrante du titre. En tous cas, une chose est sûre, le jeu ne s'appelle pas Pierre le Chef comme Nintendo Player s'obstinait à le nommer à l'époque.

Out to Lunch donc, est un jeu de plates-formes, mais de plates-formes en tableaux, c'est à dire héritière de Bubble Bobble sans affiliation avec Super Mario. Le petit cuisinier vedette voyage de par le monde, dans 6 pays, pour capturer des légumes et autres ingrédients baladeurs indispensables à sa tambouille. Si l'on sait que la viande est la chair de créatures vivantes, d'animaux, on découvre avec effroi que les légumes le sont aussi ! Voilà qui risque de remettre la salutaire doctrine du végétarisme en question. Pour accomplir sa besogne, Pierre ne transporte pas un couteau de cuisine bien aiguisé mais un filet à papillons. Ce qui n'empêche que les légumes, bien conscients du sort qui les attend, détalent dès qu'ils le voient arriver.

Le filet de Pierre permet d'attraper et d'emmagasiner cette malheureuse nourriture, naïve comme du bétail, qu'il faut ensuite déverser au fond d'une cage. Il est parfois préférable de les assommer en leur sautant dessus ou en leur jetant des sacs de farine, pour éviter qu'ils prennent la clef des champs. Lorsque le quota d'ingrédients est atteint, le niveau s'achève et la porte vers le suivant apparaît. Si comme moi vous n'êtes pas particulièrement friand des Bubble Bobble et compagnie, la simplicité et la répétitivité du principe risquent de prime abord de vous rebuter. Mais Out to Lunch ayant été développé spécifiquement pour la Super Nintendo, avant d'être transposé ensuite sur les machines Amiga, son concept est plus élaboré que les jeux de plates-formes Taito. L'absence de racines arcade se fait ressentir. En bien et en mal.

Un exemple du dernier cas est qu'il n'y a aucune numérotation des niveaux. On sait, grâce à la boîte, qu'il y en a 48, on sait aussi dans quel pays on se trouve, mais une fois immergé dans l'action, on perd vite le compte de ce qu'on a fait et c'est passablement irritant. Ce genre d'erreur, en apparence négligeable, coûte cher au jeu au final. Car comme nous allons le voir, c'est loin d'être la seule.

Tous les tableaux ont les même dimensions, un écran et demi de long et plusieurs écrans de haut, des panneaux verticaux à l'instar de Rainbow Islands. On a de l'espace pour se dégourdir les jambes, ce qui est une bonne chose. Malheureusement, les commodités spatiales ne s'appliquent pas aux contraintes temporelles. Le temps est très limité et l'on n'a pas besoin d'aller bien loin pour s'en rendre compte. Tout doit être accompli en moins de trois minutes: d'abord trouver le filet, attraper les 8 ou 10 aliments, les mettre dans la cage, tenir tête aux ennemis quand il y en a, trouver la porte. Sans oublier Le Chef Noir, le rival de Pierre, qui fait des apparitions de plus en plus fréquentes, profitant que vous êtes débordé pour aller déverrouiller la cage. Les auteurs ont une idée unilatérale de la difficulté: le mot veut dire "difficile", un point c'est tout. Pas de mise en jambes, Pierre débute sur les versants enneigés des Alpes suisses avec leurs plates-formes verglacées sur lesquelles on a du mal à se tenir. On a rarement vu de jeux qui commencent par leur monde de glace!

On souffre d'autant plus que Pierre est naturellement glissant. En digne héritier d'Alex Kidd, il est affecté d'un sérieux dérapage après chaque foulée, qui, dans un jeu comme Out to Lunch, où les plates-formes sont étroites et peuplées, les chutes longues et coûteuses, le temps toujours en retrait, se démarque comme l'une des tares les plus avilissantes que les auteurs aient eu l'effronterie de ne pas rectifier. Mais qu'on se rassure, elle a de la compagnie ! Que dire par exemple de l'absence de mots de passe ? En voilà une qui décroche la timbale ! Ce n'est pas parce que le temps manque qu'on traverse ces niveaux rapidement; au contraire, vu tout ce qu'on a à faire. Il fallait simplifier le game design ou inclure des mots de passe; sans eux c'est la banqueroute. Mindscape eux-mêmes s'en sont rendus compte après coup puisqu'on en trouve dans les versions Amiga. Tout ce qu'ils auront fait ici est de créer une option qui permet de sauter les deux premiers niveaux pour accéder directement aux Antilles. C'est qu'à cause de la jouabilité, se refaire le tout début n'est pas une perspective réjouissante, pas plus que de retarder son arrivée aux niveaux très durs comme le Mexique et la Chine.

De nombreuses erreurs auraient pu être ainsi évitées si le jeu avait été mieux testé. Et comble de l'ironie, il n'y avait pas un, pas deux, mais QUATORZE testeurs ! Mais où donc avaient-ils la tête ? Néanmoins, les auteurs sont plus coupables que les testeurs, ce sont eux après tout qui auront eu le dernier mot, eux qui auront laissé passer des fautes de jouabilité impardonnables, comme lorsqu'on rebondit sur les têtes sans pouvoir en redescendre parce que l'espace est trop étroit, ou encore les vies qu'on perd bêtement au cours de ces mêlées foutoirs dont le jeu a le secret, ou parce qu'un ennemi est placé à la sortie d'un bonus stage. Et que dire des ressorts, qui permettent de réaliser un grand saut, mais sans qu'il y ait de déclencheur précis ? On rate bien son envol une fois sur cinq, tentatives dont le temps limite n'a que faire.

La jouabilité de Out to Lunch est une succession de déboires. On ne la maîtrise jamais, mais on peut tout de même parvenir à l'adoucir pour profiter des qualités du jeu. On aurait tort de croire qu'il n'en possède pas; elles n'arrivent pas à s'imposer, mais on les sait présentes. Le design est la plus évidente de toutes. Si les décors ne sont pas vilains, quoique le ciel unicolore qui termine systématiquement les sommets de tableaux n'est pas du meilleur effet, on tombe sous le charme des sprites des personnages. Pierre le Chef a une bonne bouille mais les aliments surtout sont adorables. Ils sont à croquer, on en mangerait presque ! Non, rayez-moi ça, c'est indécent. Il y a la tomate, le champignon, l'oeuf, la bonne grosse patate, et dans chaque monde une spécialité locale: la meule de fromage, l'aubergine en Grèce, l'ananas aux Antilles, le piment au Mexique, la tige de bambou en Chine et, pour la France, l'oignon !

Un mot rapidement sur le niveau français, pour satisfaire la curiosité du lecteur que titille peut-être sa fibre patriotique. Il se déroule sur les poutres et sous les arches métalliques de la tour Eiffel, avec vue sur le Trocadéro et le palais de Chaillot. Des cocardes tricolores et des ballons dans les même tons apportent un peu de décoration et lui confèrent une atmosphère festive, tandis que des pots de peinture servent d'escabeau et rendent le sol glissant, sans doute en rapport aux dix-neuf coups de pinceaux que la tour aura reçu depuis sa construction en 1889. C'est un bon monde mais assez dur; à l'avant-avant-dernier tableau, la fierté nationale s'esquive pour laisser le champ libre aux injures.

L'animation est particulièrement soignée; chaque aliment possède des expressions diverses, une pour le mouvement, une quand il est assommé, une quand il est brûlé (on crache du feu avec la bouteille de chili) mais aussi une quand il est en colère et quand il meurt. Car les quelques ennemis qui rôdent dans les tableaux, une guêpe et des trucs mous qui ressemblent à de la gelée mais qui sont, paraît-il, des bactéries, ont la faculté de corrompre la nourriture par contact et de la transformer à son tour en ennemi. L'oeuf devient un missile, l'aubergine une torpille, l'agaric se fait amanite, le piment vert vire au rouge. Ils reviennent à la normale après un certain temps mais d'ici là on est souvent obligé de les éliminer, ce qui nous vaut quelques animations amusantes.

Rien que pour ces aliments, moins appétissants que mignons, Out to Lunch possède un certain attrait. Les niveaux même sont assez intéressants, il y a quelques bonnes idées dans le game design, à l'inverse de l'uniformité qui caractérise celui des jeux Taito, mais ils l'auraient été encore plus si la difficulté avait été équilibrée et la jouabilité corrigée. Les téléporteurs par exemple peuvent se montrer fatigant à utiliser. Une raison à cela est que les ennemis et les aliments interagissent avec les accessoires qui sont ordinairement réservés au héros ! C'est le signe d'une programmation soignée, et ce n'est pas le seul, mais c'est aussi un contraste mordant avec les erreurs déjà relevées. Le cas de figure rappelle Ocean: du talent qui par endroits s'interrompt abruptement, laissant le produit final jalonné de crevasses. Cela dit, quelle joyeuse pagaille de voir tout ce monde rebondir sur les trampolines !

On est un peu plus partagé sur la musique. Un très bon thème, entraînant comme celui de Plok, quelques morceaux sympathiques tentant d'épouser la culture du pays, mais finalement rien d'inoubliable. C'est l'adéquation sans étincelles. Les instruments impressionnent, c'est vrai, parce qu'on n'a pas l'habitude d'entendre sur consoles du cithare ou de l'accordéon (niveaux grecques et français). Quelques niveaux contiennent une zone cachée ou une warp zone, symbolisées par une porte à spirale verte, souvent très difficile d'accès, cela évidemment à cause du temps limite. Les bonus stages sont rarement les mêmes et c'est une bonne surprise. Plus fréquemment, entre chaque pays, il y a aussi un jeu de bandit manchot et une course frénétique dans un supermarché où il faut mettre la main sur le plus d'items possibles tout en poussant ou donnant des coups de pied dans un caddie. On se dit que la prochaine fois qu'on va faire ses courses à Carrefour ou à Intermarché, c'est promis, on essaye de faire la même chose.

Mindscape a beau être une compagnie américaine, en jouant à Out to Lunch, on sait immédiatement qu'on a affaire à un jeu britannique. Il n'y a pas à s'y tromper, du design à la difficulté, il sent l'Angleterre, le Cheddar et la tarte à la rhubarbe, sucré et aigre à la fois. La réalisation est impeccable mais la difficulté est implacable, toute la jouabilité va dans ce sens. On pense par moments à Rare période NES, en plus poivré. On félicite sincèrement le jeu pour son originalité, sans pouvoir lui pardonner sa panoplie de fautes. Son thème est la bouffe, mais celui qui se fait griller, rôtir, farcir, c'est le joueur ! Ces péripéties culinaires ont certes des points communs avec les aventures de dinos et de gamins joufflus, mais le résultat au fond est bien différent.

Pierre le Chef est quand même un gentil petit gars. D'ailleurs, avant de se séparer, il souhaite donner une de ses meilleures recettes aux lecteurs de 1UP, qu'il appelle le Délice du Rétrogamer:

Recette du Délice du Retrogamer
Pour quatre personnes, ou un affamé
  • Procurez-vous d'abord un vieux pot; car c'est bien connu, c'est dans les vieux pots qu'on...
  • Coupez les graphismes en dés, à peu près d'un pixel carré
  • Emincez les sprites, que vous badigeonnerez ensuite d'animations épicées
  • Pendant ce temps, dans une large poêle, faites dorer les décors en ajoutant des condiments à votre fantaisie
  • Faites revenir le gameplay aux petits oignons, en remuant régulièrement avec une manette pour qu'il n'accroche pas
  • Porter la difficulté à ébullition, en faisant bien attention de ne pas la brûler
  • Quand tout est cuit à point, verser des bruitages et des musiques frais du jour
  • Sauproudrez d'originalité et ajouter un brin de jamais-vu

Si la sauce a du mal à prendre, comme c'est ici le cas, c'est que vous n'avez pas suivi les instructions à la lettre. Tant pis, recommencez ! Tôt ou tard, vous finirez par réaliser un plat de premier choix.

le 16 avril 2010
par sanjuro



Jeu testé en version européenne
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