NES Super Nintendo Master System Mega Drive PC Engine Neo Geo

select a console »
TEST · REVIEW · CRITIQUECONSOLE SUPER NINTENDO (16-bit)


La vie, l'amour, les vaches (et ma Super Nintendo).

Harvest Moon

Harvest Moon

牧場物語 (Bokujō Monogatari, trad: "La Légende de la Ferme")
Suppléments:

La Mariée Etait en...

 Super Nintendo

Développeur:
Pack-In-Video / Amccus

Editeur:
Pack-In-Video / Natsume
Genre:
RPG fermier / Aventure galante

Joueurs:
1P

Dates de sortie
09.08.1996 Japon
06.1997 USA
1997 Europe
dur Difficulté:

90%Graphismes
89%Animation
87%Son
83%Jouabilité
93%Durée de vie

90%90%
Trucs et astuces

Voir la fin:

Allez vous coucher et juste après avoir sauvegardé (c'est-à-dire avoir écrit dans le journal), gardez enfoncés L, R et Select. Vous verrez la fin du jeu avec vos caractéristiques actuels.

Qu'il y ait joué ou non, tout joueur digne de ce nom a déjà entendu parler d'Harvest Moon. Les indignes eux ne connaissent que Farmville. Harvest Moon a été adapté sur les Game Boys, les Playstations, la Nintendo 64, la GameCube et j'en passe. Mais comme d'autres, comme Front Mission, tout a commencé par un jeu, un seul, sur Super Nintendo.

Il y aurait bien des moyens de décrire cet objet étrange, cet ovni qui à l'époque ne ressemblait à rien de connu, en voici un comme un autre. Imaginez Link (oui, le héros de The Legend of Zelda) lassé de parcourir Hyrule et de se battre pour sauver une princesse. Imaginez Link qui décide de s'installer dans une bicoque à la campagne et de troquer sa Master Sword pour une bêche. Imaginez-le maintenant en train de semer des graines au lieu de tirer des flèches et de traire des vaches au lieu de frapper des monstres. Imaginez-le se demandant qui d'Eve ou de Maria il va prendre pour épouse et si ses récoltes d'été n'auront pas été gâchées pas les dernières intempéries. Non, Link n'est pas devenu fou. Il s'agit d'un autre personnage, d'un autre jeu: Harvest Moon, c'est l'aventure à la ferme.

Nouveau Propriétaire

La comparaison avec Zelda n'est pas tout à fait gratuite. Harvest Moon possède un certain nombre d'affinités avec A Link to the Past sur Super Nintendo, dans sa représentation à l'écran en particulier, mais dans le game design aussi. On retrouve plusieurs éléments visuels: les buissons, les rochers en deux tailles, les souches d'arbres, les champignons, les poules; et l'on agit sur eux de la même façon, en les tenant au dessus de sa tête, ou, dans le cas des pierres, en les fracassant au marteau. Creuser, avec la bêche, permet de remonter des items, tandis que la faucille d'or produit le même résultat que l'épée chargée. On peut aussi pêcher, ce qui renvoie là en revanche à Link's Awakening sur Game Boy.

L'équipe de développement aura de toute évidence pensé que le format de Zelda était idéal pour leur jeu, et on pourra difficilement les contredire: son univers rural est un ravissement. L'histoire nous met dans la peau d'un jeune homme qui vient de faire l'acquisition d'une modeste ferme (un ranch, dans la traduction) et de ses quelques hectares de terrain inculte. La notice occidentale ne nous en dit pas plus long. On soupçonne que le résumé a été abrégé et révisé. Dans le jeu par exemple, on nous apprend que l'on a repris la ferme de notre grand-père. Il n'y a rien non plus sur la scène de séparation au début, où le héros fait ses adieux à ses parents. Elle a son importance puisque c'est leur venue à la ferme, deux ans et demi plus tard, qui conclut le jeu. Durant cet intervalle, on doit parvenir à faire prospérer l'exploitation, à fonder une famille et, peut-être plus difficile encore que tout, à être heureux. Tel est le but, peu orthodoxe, du jeu.

Tempus Fugit

Harvest Moon est si différent de ses contemporains que le temps et l'espace mêmes n'obéissent pas aux règles ordinaires d'un jeu vidéo. Ainsi, il n'y a pas de monde à proprement parler, qui se révèle au fur et à mesure de nos explorations. Dès le premier jour, tous les lieux qui constituent ce petit coin de campagne sont accessibles: d'un côté notre ferme, avec son habitation, son silo, coincé entre l'étable et le poulailler, sa remise et une vaste surface à défricher; de l'autre, le village, avec ses quelques boutiques agricoles, son bar et son église, réunis autour de la place publique; et puis au sommet, le flanc de montagne boisé, avec sa source chaude et sa grotte. Trois destinations reliées entre elles par un croisement que l'on franchira quotidiennement pour effectuer certaines courses ou promenades.

La journée a une forme assez particulière. Elle commence à 6 heures, avec un petit déjeuner avalé d'une bouchée. Dès que l'on met le pied dehors, le temps commence à défiler, en accéléré: une heure s'écoule en quelques dizaines de secondes et plus rapidement encore lorsqu'on passe par l'embranchement. Le seul moyen de l'arrêter complètement est de rentrer dans un bâtiment ou d'activer le panneau de dialogue. Cela continue comme ça jusqu'à 6 heures du soir, qui correspond à la nuit, à partir de quoi le temps est définitivement arrêté jusqu'à ce que l'on rentre se coucher pour mettre fin à la journée et en commencer une autre. Mais le hic évidemment est que les activités les plus importantes doivent être accomplies avant 5 heures, lorsque les magasins ferment, les gens disparaissent des rues et qu'il n'est plus possible de vendre nos produits du jour. L'ennemi, le seul, celui-là qui va toujours contre nous, indomptable et imperturbable, c'est le temps.

Comme dans la réalité, la journée n'est elle-même qu'une fraction d'un cycle plus large, celui des saisons. Elles comptent chacune trente jours; c'est-à-dire que l'on joue une année en trois fois moins de jours qu'il en faudrait normalement. Toutes les saisons ont leurs caractéristiques propres qui affectent non seulement l'esthétique du jeu (le décor change visiblement) mais aussi l'environnement et les activités, que ce soit à la ferme ou en ville. En outre, au printemps, en automne et en hiver, des festivals ont lieu pendant un jour: la fête des fleurs, des moissons, des oeufs (variante de Pâques), Thanksgiving (ici mélange de Saint-Valentin et de fête des Pères), la nuit des étoiles et le Nouvel An, apportant un peu de variété à la routine de la vie active qui s'installe rapidement.

Régime Agraire

Car on peut bien le dire, Harvest Moon a beau être un gentil jeu vidéo, avoir des graphismes trop mignons à se rouler dans l'herbe, il est loin d'être de tout repos. Les journées s'écoulent si vite que l'on est forcé de jouer à un rythme effréné, sans relâcher le bouton B (pour courir) une minute. On fonce d'un bâtiment à l'autre, de la ville à la forêt, pendant que la lumière du jour décline inexorablement. On laboure la terre, on la bourre sa femme, on sème, on arrose, on récolte ! on fait des emplettes, on effectue toutes sortes de corvées mais on manque toujours de temps, et l'on finit presque chaque soir dehors, à trimer dans le noir sans voir plus loin que le bout de ses pieds. Malgré ses apparences idylliques, Harvest Moon peut prétendre à la simulation, dont il possède au moins les rigueurs.

La vie à la ferme est faite d'agriculture et d'élevage, mais avant d'en connaître les joies — et les peines — il faut commencer par éliminer tout ce qui recouvre le sol: broussailles, cailloux, et le bois, qui, taillé, servira à ériger une clôture. Ceci fait, on peut acheter des graines pour quelques centaines de pièces d'or (!!!) chez la fleuriste. Les légumes ne poussent qu'au printemps et en été, pommes de terre et navets durant l'un, tomates et épis de maïs durant l'autre, et demandent un arrosage quotidien pour arriver à maturité. Au début, c'est notre principale source de revenus, avec quelques autres items consommables que l'on ramasse dans la forêt. Assez vite cependant, on peut se mettre à planter de l'herbe qui au bout de quelques jours est assez longue pour être fauchée.

Elle devient aussitôt du foin, la source d'alimentation du bétail et, par simplification, des volailles aussi. Les poules sont beaucoup moins onéreuses et donc plus rapidement accessibles. On les achète adultes mais un incubateur permet d'obtenir des poussins, un point jaune qui sautille gaiement à l'écran. Une fois que celui-ci est devenu une poule, et à condition qu'elle soit dûment nourrie, elle produira chaque jour un oeuf, que l'on peut vendre ou, comme tout le reste, offrir à sa guise. Les vaches sont plus sensibles, car il faut brosser et parler à chacune d'elles pour les rendre heureuses et assurer ainsi une bonne production de lait. Les animaux sont vulnérables à la maladie, aux sautes d'humeur, aux coups et même à la mort. La pluie endommage la clôture, laissant passer les bêtes sauvages qui tueront une poule si on les laisse dehors pendant la nuit. Les bovidés doivent impérativement être nourris et soignés pour éviter leur décès et une sévère réprimande. Mais un bon fermier évitera facilement tous ces périls.

Chérie, Faisons un Bébé !

Si les travaux agricoles forment le corps du jeu, ce n'est pas la seule activité à laquelle on nous encourage à prendre part. Notre ambitieux petit fermier a aussi une vie sociale, et surtout, amoureuse. Au village voisin, il y a 5 jeunes femmes qui sont comme lui célibataires. Même si en théorie rien ne nous y oblige, il faudra en conquérir une et en faire son épouse. Toutes sont très différentes: Ann, la rousse, est maladroite, un peu garçon manqué et se passionne pour les inventions mécaniques; Ellen est peu féminine d'apparence mais cette brunette est affable, aime les animaux et sait cuisiner; Maria, aux longs cheveux bleus, est une dévote renfermée qui balaye devant l'église et joue de l'orgue le dimanche; Nina, avec sa chevelure rose qui n'est pas du plus bel effet, est une originale un peu fofolle proche de la nature; reste la malicieuse Eve, blonde comme le blé, quelque peu fougueuse, qui aime se baigner toute nue dans la source chaude et à un penchant pour la boisson.

Des liens de parenté existent entre ces demoiselles et certains habitants du village. Maria par exemple est la fille du maire, Eve la nièce du vieux chasseur, les autres sont les enfants des différents marchands. Il y a une cohésion relationnelle entre les personnages d'Harvest Moon, et l'on voit même certains caractères se détacher et un peu de profondeur apparaître dans leurs existences sommaires, réduites à de courtes lignes de texte: la fleuriste et le patron de la boutique d'outillage se fréquentent, le père d'Ellen est un alcoolique, Eve a du mal à prendre les choses au sérieux, Maria a ses moments de tristesse et de dépression, etc. Les sourires cachent parfois des douleurs. Ce que le jeu ne nous dit pas des personnages, on finit par le deviner, par remplir les blancs psychologiques. C'est un des points forts subtils que possède Harvest Moon et qui au bout du compte sont peut-être plus déterminants que ses qualités évidentes.

Mais revenons à nos amours naissants. Dans la chambre de chacune des jeunes femmes (que l'on peut visiter à son gré, jeu vidéo oblige), se trouve un journal intime. Dans ce journal, pas de prose embarrassante, mais simplement des coeurs. Leur nombre, de un à dix, indique l'affection que vous porte sa propriétaire. Prosaïquement, le but est d'augmenter ce score jusqu'à ce qu'il soit suffisamment élevé pour que l'élue de votre coeur accepte une demande en mariage (fait par l'intermédiaire d'une plume bleue... Harvest Moon résout certaines situations délicates de manière très poétique; voir aussi l'insémination des vaches). Augmenter l'affection qu'on vous porte n'est pas chose aisée cependant. Il n'y a grosso modo que deux moyens d'y parvenir: en faisant des cadeaux à sa bien-aimée et en répondant bien à ses questions.

Après quoi, un tour à l'église, et vous voilà mari et femme. On emménage dans une demeure fraîchement rénovée — un préalable — et la vie conjugale peut commencer. Mais donner satisfaction à son épouse n'est pas plus simple que le reste. En fait, ça l'est encore moins, et l'on s'en sort généralement mieux à soigner ses poulets et ses légumes qu'à comprendre sa femme. Si les choses se détériorent trop, elle ira même jusqu'à vous quitter ! Dans le cas contraire, si vos bons soins (et surtout vos présents) ont raison de ses dernières réserves, vous serez récompensé par un enfant ! Si vous êtes un pro, vous pourrez même en faire un second. Être papa, voilà bien du hardcore gaming.

La Ferme des Animaux

D'un point de vue ludique, Harvest Moon se présente un peu comme un défi, cela parce qu'il va à contre-courant des principes acquis et sûrs de game design. Son champ d'action étant sévèrement limité, on se retrouve à fréquenter toujours et souvent les mêmes lieux. L'action même consiste à accomplir des tâches répétitives et peu gratifiantes. C'est une simulation de vie fermière, donc une simulation de travail, et le travail comme on le sait se présente souvent comme l'antithèse du jeu (sauf pour quelques heureux veinards). Pour arriver à ses fins, distraire le joueur sans lui donner l'impression de perdre son temps à travailler pour rien, Pack-in-Video a dû faire attention à plusieurs choses.

Tout d'abord, le jeu se devait d'être visuellement attrayant et diversifié. Quoique sorti tardivement sur Super Famicom, en 1996, Harvest Moon n'est pas une bombe graphique. Mais il est clairement plus travaillé que Zelda par exemple et il est effectivement très agréable à l'oeil. Les décors, l'intérieur des maisons notamment, sont dessinés avec une précision et un soin de miniaturiste. On peut compter les livres sur les étagères, distinguer les aspérités du bois et de la pierre, la nourriture dans les assiettes. On reprochera juste aux zones d'être trop carrées: le village, la ferme, la forêt, l'église, tout est enfermé dans des boîtes.

Cette géométrie inélégante est toutefois compensée par deux qualités graphiques exceptionnelles. La première, ce sont les sprites. A part les bûcherons et les gnomes, tous ont une identité. Ce ne sont pas des sprites génériques comme dans le commun des jeux d'aventure. Parmi ces sprites, certains reçoivent le traitement VIP, avec une jolie palette d'animations. C'est le cas du héros, qui fait des exercices quand on le laisse inactif, qui manifeste sa fatigue de plusieurs façons et avale différents encas, parmi d'autres expressions. C'est le cas aussi des animaux. Les vaches somnolent (avec l'inévitable bulle nasale) ou ruminent, le chien baille ou se gratte, le cheval, qui sert à se déplacer plus vite et à transporter des marchandises, broute ou piaffe quand on ne le monte pas. Parmi les atouts subtils dont nous parlions, les animaux est peut-être celui qui aura été décisif pour Harvest Moon, qui aura assuré son succès et ses suites. Ils sont tous si adorables, esquissés avec un tel amour (on pourrait dire que Pack-in-Video a dessiné ses animaux comme G-Craft a dessiné ses mechas !), qu'ils sont une sorte de modèle du genre. Y-a-t-il plus craquant que les vaches d'Harvest Moon et leurs veaux ?

La seconde de ces qualités, c'est la représentation visuelle du temps. Que ce soit le temps diurnal, le temps saisonnal ou le temps météorologique, lorsque la pluie et les chutes de neige embrument l'image. Durant la journée, la luminosité change graduellement pour symboliser, avec une justesse surprenante, les différentes phases du soleil. La pâleur de l'aube laisse la place aux couleurs vives de la journée, avant de lentement décroître en fin d'après-midi jusqu'aux ténèbres. Le procédé est si adroit qu'on se demande pourquoi d'autres jeux n'en ont pas fait autant, avant et depuis. C'est apparemment accompli en modifiant la palette de couleurs à l'écran, contrairement aux altérations saisonnières qui affectent elles directement la composition du décor: les feuillages changent, les branchages se dégarnissent en automne, se gonflent de couleurs au printemps; des végétaux font leur apparition: champignons, baies, fruits, etc. En hiver, saison morte favorable aux relations sociales, les points d'eau sont gelés et la neige recouvre tout. L'environnement y est d'un blanc éclatant. Et si le temps n'a pas passé trop vite durant cette période, la transition à la fin de l'année vers le printemps produit une impression éblouissante.

Monsieur Bricolage

Ces particularités graphiques rendent le jeu beaucoup plus vivant, et de ce fait, intéressant, que si tout avait été à demi statique à l'instar d'un jeu ordinaire. Comme les journées sont courtes, le temps passe relativement vite et l'on n'a pas à attendre trop longtemps avant de pouvoir profiter des nouveautés de la saison suivante. Voilà comment Pack-in-Video réussit à entretenir le plaisir de jeu. Mais ils ont d'autres techniques aussi. La journée expéditive est un agacement, cependant elle permet d'empêcher que l'expérience se transforme en concours pécuniaire et que les moments s'éternisent, ce qui inviterait immanquablement l'ennui. Le samedi et le dimanche sont des jours à part. Comme avec les saisons, les textes des personnages changent et leurs lieux de fréquentation parfois aussi. Idem pour les jours d'intempérie. Il y a régulièrement des entorses au train-train quotidien qui apportent jusque ce qu'il faut de variété pour donner envie de continuer. Mais la marge qui le sépare du labeur est quand même très fine et Harvest Moon n'est pas le genre de jeu sur lequel on jouera des heures durant jour après jour.

Pour accentuer l'immersion dans leur univers bucolique, les auteurs ont recours à une autre astuce: l'absence quasi complète d'interface. Il y a un écran titre, un écran d'entrée des noms, et le panneau des dialogues, mais ça s'arrête là. Aucune barre d'affichage, aucune barre d'énergie (on ne peut pas mourir mais on peut s'épuiser au travail), pas même de menu d'équipement. Les outils sont stockés dans la remise et on ne peut en transporter que deux en même temps. On appuie sur X pour en changer et notre bonhomme le brandit façon Link pour qu'on puisse bien le voir. Les items temporaires, tels que les fruits, peuvent être emportés ou consommés mais pas entreposés. Tout a été pensé pour réduire au maximum l'usage des menus, même si cela se fait parfois au détriment du gameplay.

Un domaine où Harvest Moon ne brille pas spécialement est les bruitages. Il y en a deux surtout qui prévalent tout au long du jeu: le crépitement du texte qu'emporte le chariot et le frottement constant des semelles, de nos semelles, qui courent sur le pavé et dans les champs. On en remarque quelques autres, mais honnêtement assez peu. Pour une ferme, la basse-cour y est étonnamment silencieuse. Les auteurs auront préféré privilégier la musique, saisonnière et contextuelle comme le reste, et ce n'est pas un mauvais choix au vu de sa qualité. Le compositeur n'est pas Vivaldi mais arrive pourtant bien à exprimer l'âme de chaque saison tout en conservant un style qui sied au jeu: le rythme pressant de l'automne, la lenteur mélancolique de l'hiver, les sifflements lyriques du printemps et les airs détendus de l'été. Ce n'est pas que la bande son est spectaculaire mais elle va comme un gant au jeu. Elle culmine avec la musique du Star Night Festival (qui sert aussi aux "incidents" et tout à la fin), très belle et poétique, profonde comme le grand mystère humain.

La Ferme Sévérité

Et ainsi, les parties s'égrènent au rythme des saisons. La première année se passe surtout à comprendre le fonctionnement de la ferme, à mettre en place ses cultures, acquérir ses premières bêtes, à faire la connaissance des villageois et à visiter les alentours (il y a quelques secrets). Durant la seconde année, on a pris des habitudes et l'on peut penser à augmenter son rendement, agrandir sa maison. C'est généralement aussi le moment où l'on se marie. Pendant la demi-année qui reste, on finit d'élargir sa famille et l'on fait son possible pour parvenir au but et ainsi obtenir quelques-unes des multiples scénettes de fins qui nous attendent si l'on a bien travaillé.

Un problème subsiste cependant qui est assez représentatif du reste du jeu. Harvest Moon est très peu contraignant, on fait ce qu'on veut durant une journée; on peut se recoucher aussitôt après s'être levé ! le rêve ! Si l'on souhaite laisser son exploitation aller à veau-l'eau, rien ni personne ne nous en empêchera. C'est un jeu qui a le goût de la liberté et c'est une bonne chose, mais cela marche dans les deux sens: s'il n'y a aucune contrainte, il n'y a aucune indication non plus. Les conseils scribouillés dans les boutiques ne couvrent que les bases avec des rudiments d'information. Comprendre ce qu'on attend de nous dans certaines situations tient souvent du casse-tête insoluble: comment augmenter les coeurs d'un journal intime ? Parler à d'autres filles que sa (future) femme a-t-il un effet négatif ? Cela vaut-il la peine d'offrir des présents aux villageois ou de prodiguer tel ou tel soin aux animaux ? Et le sujet le plus nébuleux de tous, que cela signifie-t-il d'être heureux et que faut-il faire exactement pour gagner le jeu ?

Les questions sans réponse affluent. On se sent trop souvent perdu, incertain, incapable de comprendre ce que les concepteurs attendent de nous et d'après quels critères ils jugent nos actions. Lorsqu'on essaye certaines choses qui nous semblent logiques, elles ne produisent pas toujours l'effet désiré et peuvent même se retourner contre nous en nous pénalisant à notre insu. Inversement, d'autres actions qui peuvent sembler futiles ont en fait des conséquences. Accorder un peu d'attention au chien, par exemple, a son importance, alors que le cheval et nos enfants n'en ont aucune. De même, les 10 Power Berries sont indispensables pour voir la meilleure fin.

Bien entendu, ne pas savoir et ne pas comprendre, son imprévisibilité, est aussi ce qui fait le charme du jeu. Du reste, Harvest Moon est un titre assez expérimental dont le développement ne s'est pas fait sans mal. Yasuhiro Wada, son auteur, qui occupe le poste de producteur, signait là un projet personnel longtemps mûri, sous la supervision (peut-être plus symbolique qu'effective) d'Akira Sakuma, un touche-à-tout connu dans le monde du jeu pour avoir travaillé sur la série fleuve et très éparpillée des Momotaro d'Hudson Soft. Pack-in-Video n'étant pas ce qu'on pourrait appeler une grosse boîte, l'équipe dut faire face à des limitations budgétaires et des délais pressants. Au final, il ne fut produit que 20 000 copies du jeu au Japon, suivi d'une modeste distribution internationale grâce à Natsume (il existe en PAL mais pas à ma connaissance dans une véritable version française).

Ils n'eurent pas le temps de peaufiner sa logique; plusieurs aspects, trop vagues, en ayant visiblement besoin. Cela relève parfois du bug: si on laisse trop d'animaux dehors, on s'expose à des ralentissements phénoménaux; les jours de pluie, il faut tout de même arroser ses semailles ! La jouabilité même n'échappe pas aux lourdeurs: ne transporter que deux outils nous oblige à aller en changer trois fois par jour, déplacer le bétail est un calvaire indescriptible, les aller-retour pour monter la clôture sont interminables (pourquoi n'y a-t-il pas de brouette ?), et cet idiot de canasson qui n'arrête pas de bouger ! Il est censé faciliter la récolte, mais au lieu de ça, nos légumes s'en vont s'écraser au sol. Harvest Moon est mal ébauché par endroits; c'est flagrant mais excusable, du fait de ses aspirations élevées. La traduction anglaise, sans doute assurée par Natsume, souffre elle de profondes inégalités. La qualité est parfois proche d'un jeu NES Bandai en français, avec des phrases parfaitement incohérentes ou ridicules, voire tronquées.

Du Ranch à l'Usine

Avec près de trente jeux à son actif, soit une moyenne choquante de deux jeux par an depuis sa sortie, le gentil monde agricole d'Harvest Moon tourne paradoxalement à un rythme industriel. Il faut constamment un nouveau produit sur le marché pour satisfaire les besoins de consommation des fans. L'envers du décor, derrière les animaux adorables et les personnages joyeux, est assez épouvantable quand on y songe. Mais c'est bien dans l'air du temps. C'est l'évolution de Nintendo et d'autres, comment de marchands de rêves tous sont passés à l'état de producteurs en série, dans une industrie qui opère désormais comme Hollywood.

Etant le tout premier, cet Harvest Moon est encore exempt de ce bagage bien lourd et on peut l'apprécier pour son immense fraîcheur dans un genre jusque-là très largement dominé par la violence des combats: les jeux d'aventure. Mais ce pacifisme en fait justement aussi un jeu d'aventure très particulier, excentrique, un peu austère, où l'action finit par se résumer à accomplir des tâches ingrates et à discuter. L'attraction n'est plus la même et c'est visuellement surtout que l'on reconnaît le genre. Si au début la recette, par sa nouveauté, fonctionne à merveille, après quelques saisons, on finit par en ressentir les limites. Ce carré de campagne est aussi restreint que les actions quotidiennes que l'on a le choix d'accomplir.

Sa note d'excellence, son 90%, est-elle alors méritée ? Ma foi, oui, pour deux raisons précises. La première est que Harvest Moon est un véritable précurseur, même s'il n'a pas nécéssairement eu une grande influence dans le milieu car trop peu répandu. Il était là avant les Sims, avant Animal Crossing, même avant les principales simulations de vie (Tamagotchi, Creatures...). Cette primeur malheureusement lui est trop rarement reconnue. Pourtant, c'est l'un des premiers vrais jeux, peut-être même le tout premier, à proposer une simulation de l'activité humaine qui en inclut les trois concepts fondamentaux: le travail, les rapports sociaux et la famille, ainsi que des aspects secondaires comme notre relation avec la nature et les animaux, la religion. Ce n'est pas exactement une simulation de vie, même si c'était l'ambition de Wada, puisque le vieillissement y est absent (ainsi que le sexe et la mort, dans une moindre mesure) et qu'il faudra attendre Harvest Moon - A Wonderful Life sur GameCube pour que cela soit enfin géré.

La seconde raison découle de la première. Harvest Moon est si proche de l'existence humaine que la façon dont on y joue est presque un miroir du quotidien. L'ennui commence à poindre une fois qu'on s'est installé dans la routine. Privilégier le travail rapporte de l'argent mais demande un investissement de temps qui finit par fatiguer. Du temps, d'ailleurs, on n'en a jamais assez. Passer ses journées à flâner n'est pas plus valorisant. Les rapports avec les gens, et avec les femmes en particulier, sont souvent frustrants. Une fois marié, on peut avoir des regrets. Les animaux sont amusants mais il faut bien s'en occuper. Il est bon parfois de prendre quelques jours de repos pour se divertir, faire la fête. Et ainsi de suite. Le jeu est autant de morceaux de vie réelle, évidemment très simplifiés. On s'étonne parfois de se retrouver dans ce microcosme. Pour profiter au mieux d'Harvest Moon alors, ce n'est ni plus ni moins comme dans la vie qu'il faut s'y prendre: de la façon qui nous convient le mieux, à son propre rythme, à la recherche du juste équilibre parmi les bons et les mauvais côtés de l'existence.

le 24 avril 2012
par sanjuro



Jeu testé en versions américaine et européenne
Boîte du jeu
Version européenne



Photos choisies
Cliquer pour agrandir

Toutes les photos
Taille normale 256x224
01 | 02 | 03 | 04 | 05
06 | 07 | 08 | 09 | 10
11 | 12 | 13 | 14 | 15
16 | 17 | 18 | 19 | 20
21 | 22 | 23 | 24 | 25
26 | 27 | 28 | 29 | 30
31 | 32 | 33 | 34 | 35
36 | 37 | 38 | 39 | 40
41 | 42 | 43 | 44 | 45
46 | 47 | 48 | 49 | 50
51 | 52 | 53 | 54 | 55
56 | 57 | 58 | 59 | 60
61 | 62 | 63 | 64 | 65


Panorama
Tout sur une page


All text and screenshots: © 2001 sanjuro, 1up-games.com