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TEST · REVIEW · CRITIQUECONSOLE SUPER NINTENDO (16-bit)


Il voulait voir du pays.

Another World

Another World

アウター・ワールド (Outer World), Out of this World (USA)
 

 Super Nintendo

Développeur:
Delphine Software / Interplay

Editeur:
Interplay
Genre:
Aventure / Réflexion

Joueurs:
1P

Dates de sortie
27.11.1992 Japon
11.1992 USA
11.1992 Europe
dur Difficulté:

60%Graphismes
86%Animation
87%Son
85%Jouabilité
60%Durée de vie

88%88%
Trucs et astuces

mots de passe:

section 01: LDKD
section 02: HTDC
section 03: CLLD
section 04: LBKG
section 05: XDDJ
section 06: FXLC
section 07: KRFK
section 08: KLFB
section 09: BFLX
section 10: JCGB
section 11: BRTD
section 12: TFBB
section 13: TXHF
section 14: CKJL
section 15: LFCK

En bonus, des codes alternatifs. Avec les codes à gauche, le chandelier n'est pas encore détruit; avec ceux à droite, ce sont les boules vertes qui ne le sont pas:

section 09:
TBHK, DDRX
section 10:
HBHK, HRTB

Il était de bon ton, en ce temps-là, de commencer les articles sur Another World par la célèbre chanson du groupe Téléphone, Un Autre Monde. Déjà parce que c'est la traduction du titre, ensuite parce que c'est un groupe français pour un jeu qui l'est aussi. Bien sûr, les rapprochements s'arrêtaient là; Jean-Louis Aubert chantait son désir d'une réalité plus à son goût, tandis que le jeu d'Eric Chahi nous emmenait vraiment dans un autre monde. Mais que se serait-il passé si la chanson de Téléphone avait été écrite pour Another World ? Peut-être aurait-elle ressemblé à cela:

Je rêvais d'un autre monde
Où la terre serait ma tombe
Où le laser serait ma fronde
Et la difficulté profonde.

Je jouais les mains crispées
Sur des graphismes carrés
Je rêvais jouabilité,
Maniabilité.

Un copain d'une autre terre
Pour partager mes misères,
Sortir de cet enfer
Et regagner mon univers.

Mais je tombais terrassé
A ramper pour avancer.
Et soudain terminé !
Dragon au ciel, Lester sauvé.

...

Coup de Foudre

Malgré son nom amusant (peut-être parce qu'il lui a été donné par un Français), Lester Knight Chaykin est un jeune homme qui a la belle vie. Il conduit une Ferrari noire et possède un laboratoire ultra-moderne, équipé, chose impensable, de son propre accélérateur de particules ! Rien que ça ! Pourtant, il est sur le point de tout perdre. Alors qu'il répète une de ses expériences pendant une nuit orageuse, la foudre s'abat sur l'accélérateur et provoque une réaction inattendue: une masse d'énergie surgit du mur et happe d'un bloc le bureau où Lester est assis, laissant un gouffre fumant derrière elle et expédiant le jeune scientifique dans un autre univers, sur une autre planète.

La téléportation brutale le jette en plein milieu d'un étang dont le joueur, désormais aux commandes, devra rapidement s'extraire sous peine de s'y noyer ou, pire encore, d'être dévoré vivant par les tentacules qui en tapissent le fond. A la surface, la réalité s'effondre pour Lester lorsque ses yeux découvrent le paysage lunaire qui l'entoure, confirmant ainsi ses craintes: il a bien quitté la Terre. L'aspect menaçant des lieux, les bêtes féroces qui y rôdent, ne sont que le début d'une épopée périlleuse dont l'objet n'est pas de regagner notre galaxie, mais simplement de rester en vie parmi les milles et un dangers de cette hostile planète.

Seul au Monde

Aussi intrigante soit l'histoire, en son temps, elle ne l'était pas autant que l'aspect même du jeu. C'est qu'Another World est un précurseur en termes de graphismes vectoriels; s'il y avait déjà eu des jeux polygonaux bien avant lui, c'était surtout des simulations, des jeux de tir, souvent en vue subjective ou derrière un véhicule. Aucun d'eux ne s'était servi de la 3D pour alimenter un environnement et une action 2D comme dans un jeu classique ou encore pour donner vie à des cinématiques. L'impact de ce style "3D en 2D" est profond puisque, même s'il fonctionne différemment, on le retrouve aujourd'hui dans nombre de jeux modernes, de LittleBigPlanet à Kirby Epic Yarn.

La prouesse, évidemment, ne revient pas à la Super Nintendo, qui se contente ici de servir au portage. C'est sur Amiga que Eric Chahi, pendant deux ans, a conçu Another World, écrit principalement en langage assembleur et doté de graphismes en partie rotoscopés, c'est-à-dire dessinés par dessus des images vidéos pour préserver la qualité inimitable d'une animation naturelle; les décors aussi sont des images vectorielles, mais produites à partir de croquis. On s'en serait douté, celui qui a servi de modèle aux animations de Lester, c'est Eric Chahi lui-même. Polyvalent, il a pour ainsi dire tout fait dans le jeu, véritablement son jeu, y compris dessiner la couverture originale. Seules les deux musiques sont le travail d'un intervenant externe, Jean-François Freitas, alors que les bruitages, enregistrés au magnétophone, sont issus de la collaboration des deux hommes.

Chahi, en revanche, ne semble pas avoir été impliqué dans la conversion Super Nintendo qui a été supervisée par Interplay. Le programmeur en charge, Bill Heineman, est le leur, tout comme le compositeur Charles Deenen qui a ajouté des musiques discrètes et atmosphériques dans un jeu autrement emmené par ses bruitages. Mais leurs changements sont positifs ! La musique n'est pas envahissante, au contraire, elle donne un certain rythme qui manquait à l'original, trop silencieux dans ses moments clefs et ses scènes intenses. Et puis on profite surtout d'une étape de jeu supplémentaire qui était présente sur PC mais pas sur Amiga, située entre la fuite dans le couloir et l'apparition du char noir. Cette séquence, qui correpond aux mots de passe des sections 12 et 13 et se déroule sur les toits et dans une espèce de garnison, a, il est vrai, deux passages tordus (le trou avec les bombes et celui avant le levier) mais s'insère autrement bien avec le reste du jeu.

Pistolero

Avec ses masses de couleurs uniformes, sculptées grossièrement pour prendre une semblance de forme humaine et d'autres plus ou moins identifiables, le graphisme a priori n'est pas follement séduisant. Dans les photos d'écran en particulier, il peut sembler épais et monotone, excessivement sombre et anguleux, en un mot comme en cent, laid. Animé toutefois, on le juge moins sévèrement. Les personnages sont suffisamment vivants pour nous faire oublier l'absence de détails et le caractère primitif des formes et des contours. Il y a un pouvoir d'évocation dans ce graphisme, y compris dans le décor, qui relève presque de certains courants artistiques d'avant-garde. Et parce qu'il est assez unique en son genre, ce style dépouillé devient un avantage évident pour Another World. Sans lui, c'est-à-dire avec des graphismes bitmap, il n'aurait jamais eu le même impact. Aussi agréable soit l'animation, il faut tout de même préciser qu'elle est accablée de ralentissements, si nombreux qu'on finit par les prendre pour la vitesse par défaut.

L'immersion dans ce monde visuellement austère est également favorisée par la simplicité des commandes. Malgré les huit boutons de la manette Super Nintendo, cela se joue seulement avec deux: un pour le saut et un pour l'attaque, qui permet aussi de courir lorsqu'on est en mouvement. Les possibilités athlétiques sont réduites et il n'est pas même permis de se suspendre ou de se hisser comme dans Prince of Persia, juste de se baisser. Une fois qu'on a acquis le pistolet laser cependant, le champ d'action est quelque peu élargi. Le pistolet, c'est à la fois l'épée, le bouclier et la clef. En appuyant une fois, il tire; pas d'embrouille à ce stade. En le chargeant un peu, il érige un mur magnétique protecteur; une pression plus longue et il crée un super tir capable de détruire les portes et autres obstacles. La plupart des énigmes se surmontent donc au revolver. L'épée n'est peut-être pas plus forte que la plume, mais le pistolet laser, si.

Pas Con Mais Concis !

A part les deux que nous mentionnions précédemment au sujet du niveau en plus, les énigmes et les pièges ne sont pas bien compliqués et les premières se résolvent assez logiquement. Ce qu'il y a d'intéressant est qu'elles sont plus évoluées que dans un jeu d'aventure ordinaire et mettent parfois en avant des réactions physiques comme dans des jeux modernes dotés de moteurs perfectionnés. En détruisant la pointe d'un rocher triangulaire par exemple, on le transforme en pente, puis en provoquant l'effondrement du bassin d'une cascade, l'eau inonde la caverne ce qui permet d'en sortir. Preuve, s'il en fallait encore une, qu'Another World était vraiment en avance sur son temps.

Les combats au pistolet laser sont beaucoup plus frustrants que les énigmes; ils exigent un timing trop précis qui les prive de spontanéité et diminue le plaisir qu'on y prend. Il faut soigneusement s'entourer de multiples boucliers, y glisser le bout de son canon, faire attention à chacun de ses pas et à ne pas se retourner. C'est planifié comme un programme de gymnastique. Cela dit, ni les énigmes, ni les combats ne sont bien nombreux pour la bonne raison que le jeu est très court. On doit garder à l'esprit qu'Another World est un projet compliqué développé par une seule personne. Même au bout de deux longues années, c'est tout ce que son auteur aura pu créer. L'erreur de Delphine Software, mais aussi de Chahi, aura été une fois le jeu reconnu comme un succès de ne pas chercher à l'étoffer dans ses conversions, de ne pas avoir ajouté de niveaux pour lui donner la consistance et la durée de vie d'un vrai grand jeu d'aventure. Ils n'auraient pas eu besoin de modifier le game design, juste de l'enrichir d'évènements.

Les mots de passe sont nombreux car le jeu, aussi bref soit-il, est divisé en 15 segments. Jamais ils ne sont annoncés: c'est seulement après avoir péri qu'on les devine si le mot de passe a changé. Il n'y a pas à se plaindre de ce système, apparu presque en même temps que les points de sauvegarde automatiques dans d'autres jeux. D'abord parce que la difficulté n'en souffre pas, cela nous évite tout juste de devoir répéter de longues séquences pour arriver au but, ensuite parce que c'est en symbiose avec l'esprit épuré du jeu: pas d'affichage, ni d'interface, pas de texte, à peine quelques digits vocales inintelligibles. Il est présenté de façon à donner une impression de cohésion, l'illusion d'une continuité parfaite, en sorte que quand les cinématiques s'affichent on pourrait croire que la caméra, le plus naturellement du monde, s'est rapprochée des personnages. Comme les changements d'angles de vue des jeux modernes.

L'Ami

Il y a beaucoup de choses dont on pourrait discuter au sujet d'Another World, c'est un jeu qui excite l'imagination des joueurs comme des rédacteurs et c'est bien entendu tout à son honneur, mais il y en a une en particulier qui retient l'attention, c'est l'ami extra-terrestre, le camarade d'évasion avec ses petits yeux clairs et sa bonne tête carrée. Chahi lui-même affirme que c'est une manifestation et une réaction à sa propre solitude durant la période de création du jeu.

Lester n'a personne d'autre que lui dans ce monde inconnu. Tout deux partagent la même cage sans que l'on sache pourquoi il se trouve là. On voit bien cependant d'autres prisonniers et esclaves comme lui et l'on suppute que cette race extra-terrestre est divisée en deux groupes, l'un hostile, l'autre pacifique, soumis par la force du premier, ce qui est aussi une vieille tradition terrienne. Une fois leur évasion accomplie, les deux compagnons vont s'entraider jusqu'au bout même lorsque les évènements les séparent. Cela deviendra l'un des leitmotive de l'histoire car sans son ami, Lester ne pourra pas progresser.

La fin est la culmination de cette relation, chacun échappant à la mort grâce à l'autre. Néanmoins, cela se termine sur une note ambiguë. Lester, meurtri, est doucement recueilli dans les bras de son ami comme un enfant, puis ensemble ils disparaissent à dos de dragon. Malgré toutes les questions auxquelles Eric Chahi aura répondu, personne ne semble lui avoir posé la plus importante: Lester survit-il ? Interplay développa une suite sur Mega-CD, Heart of the Alien, qui offre des réponses et à laquelle Chahi aura participé mais plus en tant que conseiller que réalisateur, alors on ne sait si on peut vraiment s'y fier.

La Planète Sauvage

Peut-être la meilleure façon de décrire Another World est comme un jeu expérimental. Chahi expérimente avec les graphismes vectoriels, avec le gameplay et l'environnement, avec les techniques dramatiques de cinéma, comme le hors champ et le premier plan: les soldats défilent au bas de l'écran, les lasers partent depuis la perspective qu'occupe le joueur en se croisant dans le plus pur style Star Wars. Il possède même une dimension théâtrale: ces extra-terrestres grands et massifs, taillés dans un bloc comme des golems, ont quelque chose qui renvoie à Boris Karloff et son interprétation de Frakenstein peu après les débuts du parlant.

On compare souvent Another World à Prince of Persia (encore que Chahi cite plus volontiers Karateka) mais pourtant les deux jeux, hormis la technique rotoscopique, se ressemblent assez peu. Another World a l'avantage d'être intelligemment varié, Prince of Persia celui d'être une expérience de jeu bien plus complète. C'est la même chose avec Flashback, le chef-d'oeuvre de Delphine Software. Il perd en artistique, en expérimental, ce qu'il gagne en fondamental: une longue aventure avec un scénario et une jouabilité développés. Another World possède un cachet artistique si prononcé qu'on peut difficilement le ranger avec les jeux vidéo ordinaires. Même si le style est minimaliste, c'est une oeuvre d'art animée, qui prend vie et qui avance, là où les autres jeux sont essentiellement des mécaniques qui se mettent en branle, avec des règles et des histoires soigneusement tracées.

le 1er août 2010
par sanjuro



Jeu testé en version européenne
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