Depuis 80 ans, le chat Tom pourchasse la souris Jerry. Leurs infatigables courses parsemées de pièges et de gags ont donné lieu à 160 dessins animés de 1940 à 1967, récompensés par 7 Oscars, car tous étaient des productions pour le cinéma. Ce duo, on le doit à un autre non moins célèbre, mais bien réel celui-là : William Hanna et Joseph Barbera. Avant de créer leur studio d'animation pour la télévision, ils étaient animateurs à la MGM, où ils réalisèrent plus d'une centaine de ces dessins animés Tom et Jerry.

En 1992, le couple infernal en était encore à fêter ses noces d'or. Malgré leur succès intemporel, ils n'avaient pas été sur le grand écran depuis 25 ans. Alors, un producteur eut l'idée de leur offrir ce à quoi ils n'avaient jamais eu droit jusqu'ici : un long métrage. Ce fut une petite affaire qui fut très mal reçue. Mais il permit au moins de remettre leur nom au goût du jour, ce qui, inévitablement, les amena aux jeux vidéo.

Plusieurs jeux furent développés pour les consoles populaires du moment, en l'occurrence les trois Nintendo et les trois Sega, sans qu'il s'agisse automatiquement de portages. Celui de la Master System a cela de particulier que le lien avec le film semble avoir été fait à la dernière minute. Quand il avait été testé dans la presse, il s'appelait juste Tom and Jerry avec cet écran titre, mais à sa sortie le mois suivant, « The Movie » figurait désormais dans le titre et l'écran avait été entièrement revu.

En vérité ce n'était que du racolage. Le jeu n'a aucun rapport avec le film (pas de Robyn, pas de tante Figg, pas de Ferdinand, le chien obèse sur un skate-board...) et on ne peut pas dire non plus qu'il évoque beaucoup le dessin animé, juste l'univers typique d'un jeu vidéo. Un détail cocasse quand même : sur les consoles Nintendo, on incarne Jerry, alors que sur les Sega on est Tom. N'ayant pas été réalisé par les mêmes compagnies, c'est peut-être un hasard. Il y a quand même quelque chose de vaguement allégorique dans ce chat Sega qui court après la souris Nintendo mais n'arrive jamais à la rattraper...

Le but de Tom (pour ne pas dire le but de son existence) est évidemment d'attraper Jerry. Il traverse 6 niveaux pour ça, le périple commençant et finissant à la maison; mais ces niveaux manquent cruellement de la saveur cartoonesque qui a fait la gloire des dessins animés MGM. Il pourrait s'agir des décors insipides de n'importe quel jeu de plates-formes. C'est d'autant plus navrant que ce n'est pas vraiment un jeu de plates-formes. Sega a eu l'idée assez appropriée d'en faire une espèce de course d'obstacles, genre peu connu mais bien réel, dont on peut citer par exemple Kid Klown sur Super Nintendo.

Dès le début, Jerry est devant nous. Mais on s'en doute, il ne se laisse pas approcher, le bougre, il détale ! Et entre nous et lui, il y a le niveau : des obstacles, des plates-formes, et des machins explosifs que la souris pose comme des mines mais qui ne ressemblent à rien. Jerry a aussi la faculté de grimper les murs à la verticale, ce qui lui fait gagner un temps certain et nous oblige, de notre côté, à faire de l'escalade de plates-formes. Mais la petite souris n'a pas mauvais fond, car elle s'arrête parfois pour nous attendre (et pour nous railler). C'est tout de même bien gentil, parce que si le bord de l'écran nous rattrape, dieu sait pourquoi, on meurt.

Pour une fois, les développeurs ont quand même compris que leur jeu s'adresse surtout aux enfants et, outre les 7 continus, ils nous dotent d'une barre d'énergie bien élevée (« excusez-moi, je dois perdre un carré »). Come elle trinque aussi quand on se cogne violemment, elle n'est pas de trop pour finir un niveau. Au bout des trois derniers, on a affaire, non pas à un véritable boss, mais à une situation épineuse qui demande l'esprit d'entreprise.

Mais ce qui rend cette version assez originale et plaisante est le maniement de Tom, minutieux, varié, doté d'animations soignées. Il ne faut pas longtemps avant qu'on pense à un autre jeu, auquel on aurait pourtant du mal à associer nos deux lascars, je veux parler de Prince of Persia. Le bouton 1 sert à courir, le 2 à sauter en extension pour se hisser sur les plates-formes — ou en longueur, couplé avec une direction. Haut pour faire une enjambée, Bas pour un petit pas, très utile pour se placer exactement. On finirait presque par croire que c'est le prince de Perse dans un costume de Tom !

Malheureusement, la banalité visuelle des niveaux asphyxie les bonnes volontés de la jouabilité. Au lieu de ces plates-formes en gélules, pourquoi ne pas avoir plus utilisé le décor ? On n'est plus en 1985 ! Escalader un mur aurait eu plus de sens que de devoir grimper sur la seconde de deux plates-formes superposées. C'est bizarre d'avoir oublié que Tom est un chat et non un prince, dont il n'a d'ailleurs pas toute la souplesse, ne pouvant se rattraper lors des chutes. Tom est toujours debout comme un homme, ce qui l'empêche de se faufiler dans ces passages peu étroits faits de plates-formes. Ils sont réservés à la souris.

La morosité graphique, le manque d'inspiration dans les décors, est un défaut qui touche d'autres jeux Master System de la même période, et qui remonte au manque général d'ambition de ces titres. Tom and Jerry pâtit aussi à cet égard. Il n'y a rien d'autre à faire que d'attraper la souris. Il n'y a même pas de temps ou de score. Au cinéma, ça a pu nous amuser pendant 80 ans, mais manette en mains, on tiendra difficilement 80 minutes. Le jeu se termine par un vulgaire générique, sans même une jolie image, ce qui est rare sur Master System, et rien de plus après.

Pour prolonger le plaisir, 1UP a quand même une suggestion pour vous : essayez de finir chaque niveau en attrapant Jerry au dernier écran, puis ensuite recommencez le jeu en essayant de l'attraper avant d'atteindre le bout. C'est faisable, mais c'est difficile. Les premières fois, on a l'impression que c'est permis uniquement dans certains niveaux comme la forêt, mais ce doit être possible partout, il faut savoir anticiper la souris. En revanche, je ne crois pas que ça change la fin.

Le principe de ce Pressé of Persia était une bonne idée pourtant, qui méritait plus de considération, qui était plus réussie que d'autres tentatives d'adaptations similaires (Road Runner sur Super Nintendo, avec les Tom et Jerry du désert). Dans sa forme actuelle, il est surtout bon à distraire les jeunes joueurs. Sega aura quand même fait l'effort de le remanier pour sa Game Gear, et, semble-t-il, de l'améliorer, preuve que eux les premiers ont senti son potentiel. Mais déjà ici, on se sent un peu comme sur Game Gear. Peut-être parce que c'est réalisé par SIMS qui s'y sont bien développés (l'intro ragtime façon Putt & Putter aide aussi). Au moins, Tom and Jerry sur Master System distrait tant qu'il dure. Et s'il n'a que cette qualité en commun avec le dessin animé, ce n'est pas la moindre.

Jeu testé en version européenne

7070

FINI

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