Avant la folie Pokémon, il y a eu la mini-folie Tamagotchi, dans les années 90. Pour une fois les pessimistes ont eu raison, ça n'a pas duré bien longtemps, juste le temps d'un phénomène de mode. Même au Japon, l'empire des phénomènes de mode éternels, le Tamagotchi a fini par retourner dans son oeuf et à y rester. Peut-être que les Japonais ont succombé à un excès de Tamagotchi, à un ras le bol général encouragé par la prolifération des p'tites bêbêtes dans de mauvais produits. Nous avons une preuvre archéologique de cette extinction brutale qui pourrait corroborer cette théorie: Tamagotchi Town. Nous l'affirmons aujourd'hui haut et fort, c'est la médiocrité qui est à l'origine de l'éradication des Tamagotchi !
Et la preuve est accablante chers amis lecteurs, Tamagotchi est un très, très mauvais jeu. Ses concepteurs ont au moins eu la décence d'attendre la fin de la Super Famicon pour le sortir. Il n'est en effet apparu qu'en 1999, grâce au système de téléchargement Nintendo Power (dont nous finirons bien par vous parler depuis le temps qu'on vous le promet). La honte en est malheureusement d'autant plus grande; en 9 ans, entre la sortie de la Super Famicom et la sortie de ce jeu, on serait porter à croire que les développeurs ont acquis une expérience, une connaissance du support, qui leur permet de réaliser des jeux géniaux qui en exploitent les capacités, comme SFC Wars qui ne nous avait pas déçu.
Au lieu de ça, Tamagotchi Town est mal fichu à tous les niveaux. Il est indigne de la console et indigne des joueurs. Le principe n'a pas changé depuis les portes-clefs ovoïdes, il faut prendre soin de son Tamagotchi, de sa naissance jusqu'à sa mort qui, si vous vous y prenez bien, est censée arriver le plus tardivement possible. La différence ici est que vous pouvez choisir une aire pour l'élever et que vous pouvez prendre soin de plusieurs Tamagotchi à la fois. Dès le début, vous pouvez aménager de quatre façons (plaine, forêt, montagne et mer) le terrain découpé en 9 zones. Selon l'environnement, votre rejeton évoluera différemment, par exemple dans l'eau il devindra poisson, dans les bois, insecte. On vous demande ensuite de déposer deux oeufs dans l'une de ces zones.
Après, c'est du Tamagotchi pur jus, ou presque. On peut nourrir sa créature, nettoyer ses crottes et la faire jouer. Là où Tamagotchi Town fait plus fort que les autres, c'est qu'il parvient à être non seulement moins fun que la très bonne version Game Boy noir et blanc mais encore moins interactif que le porte-clef. Il fallait le faire ! Eh bien, ils l'ont fait. Déjà, on ne peut donner à manger qu'un seul type de nourriture, du riz. Ce que l'on peut changer, c'est la quantité, de une à trente portions, pour les familles nombreuses. L'idiotie est à son comble quand, parallèlement, il existe trois façons de torcher les fesses de son polisson ! Vraiment... on savait les Japonais fans de toilettes, mais à ce point... On peut donc utiliser au choix un coup de vent, des vagues ou de la pluie qui font fonction d'emporte-caca. Parviendront-ils à sauver la mise avec la partie jeu ? Inutile de répondre, vous connaissez déjà la réponse.
La partie jeu est l'une des plus déporables, même le truc idiot de la version porte-clef qui consistait à deviner cinq fois dans quelle direction le Tamagotchi allait tourner la tête était plus drôle que ce qui est proposé ici. Tout ce qu'on peut faire, c'est de poser un ballon dans le champ. S'ils sont au moins deux, les Tamagotchi se font des passes, seul, la balle repose paresseusement dans l'herbe, mais dans les deux cas vous ne prenez aucune part. Toutefois, le "truc idiot" est toujours là, on y accède par un menu séparé avec une tête de smiley. On se dit: "Ah, ça doit être le menu pour les jeux (tout est en japonais)", il y a en effet 6 choix. Mais ne sous-estimez pas l'idiot qui dort, il n'est jamais si bête qu'au réveil. La nouvelle variante du "truc idiot" est qu'au lieu de jouer avec un Tamagotchi dans cinq manches, vous choisissez un groupe de dix Tamagotchi parmi six (c'était ça les choix...) pour une seule manche. On presse ensuite L ou R pour deviner la direction, puis tous les Tamagotchi tournent la tête. Ceux qui regardent dans la direction que vous avez indiqué perdent et disparaissent puis vous rejouez. Ainsi de suite jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de Tamagotchi dans votre groupe (vous perdez) ou jusqu'à ce que les seuls Tamagotchi restant soient dans votre groupe (vous gagnez). Il y aussi un jeu de course, mais on vous épargne la description.
Ca a l'air bête comme ça, mais quand on y joue, on ne trouve pas que c'est bête, on trouve que c'est nul. En plus, c'est très dur de gagner, ca n'apporte rien et il y a une espèce de folle tordue qui éclate d'un rire monstrueux à chaque fois qu'on joue. Tout est fait pour vous dégoûter. Peut-être le genre de jeu que l'association Familles de France apprécierait, qui sait. La consolation, qui n'en est pas une, est que l'on peut accélérer le temps. Ca tue le jeu (est-ce vraiment important vu qu'il n'y a pour ainsi dire pas de jeu ?), mais ça permet de faire grandir son Tamagotchi rapidement. Surtout qu'ici l'accélération du temps est vraiment speed, en 25 secondes chrono vous faites passer une journée en pressant R; L est un peu plus lent.
Où donc est l'intérêt de Tamagotchi Town alors ? Et il doit bien y avoir quelque chose, autrement il aurait hérité d'un zéro. Exact. La seule chose un peu motivante dans le jeu, c'est de voir la tronche en gros plan de tous ces monstres de poche (pardon les Pokémon). On peut accéder à un album de tous les Tamagotchi du jeu dès l'écran de titre. Il se remplit au fur et à mesure qu'on en obtient de nouveaux, un peu comme avec le Pokédex. Attendez-vous à des chocs cependant. Certains des Tamagotchi sont tellement incongrus qu'ils feraient frémir Frankenstein en personne. Des espèces d'horreur à visage humain ont été rajoutées, on les dirait échapper d'un film de Brian Yuzna ou d'un navet dans le genre. C'est peut-être ça aussi qui a fait fuir les gens, si les Tamagotchi se sont transformés en monstres de foire.
Avant d'en venir à la réalisation et de finir avec elle, un mot quand même sur le système d'élevage des Tamagotchi qui mérite lui aussi un bon reproche. On a en effet la surprise, après quelques tentatives, de découvrir que le meilleur moyen d'assurer une longue existence à un Tamagotchi consiste simplement à suivre systématiquement l'ordre des choses: nettoyer les déjections dès qu'il y en a, le nourrir quand il le faut et avec la quantité préconisée, le faire jouer quand il le réclame. Ni plus, ni moins. Agir en bon robot, sans initiative, sans plaisir, pour arriver à ses fins... quel cauchemar ! La réalisation, elle, ne tient pas du cauchemar, mais pas du rêve non plus. Les graphismes sont pauvres, grossiers et assez laids pour les décors, les Tamagotchi sont excessivement minuscules et il n'y a rien de neuf à voir ou à entendre au bout de 10 minutes de jeu. Il y a quand même un style Tamagotchi Town, ce n'est pas complètement insipide, c'est déjà ça.
Vous recevez aussi de temps en temps de nouveaux oeufs pour accroître votre communauté de Tamagotchi, et vous pouvez tous les élever sur le même écran, bien que ce ne soit pas vous qui décidiez de leur emplacement, ni de leurs déplacements. Encore un problème qui annule une idée du jeu qui aurait pu être intéressante. Mais à l'échelle de Tamagotchi Town, c'est tout le jeu qui aurait dû être revu et corrigé pour être intéressant. Tout semble avoir été fait pour être raté et ennuyeux. Comment certains choix ont pu être faits par l'équipe de développement ? c'est au-dessus de l'entendement humain. Le jeu souffre de la comparaison avec la version Game Boy qui était simple mais pourtant tellement plus complète et amusante (le concours de beauté, les exercices de math... ah, oui, vraiment plus fun !), et même de la comparaison avec le porte-clef. Quelle humiliation ! Des graphismes noir et blanc, tout rikiki et clairement découpés en pixels qui donnent un jeu pourtant nettement plus sympathique et agréable à jouer. On a peut-être ici la réponse au mystère de la disparition des Tamagotchi, ils n'ont pas su s'adapter, ni évoluer, ils se sont fait négliger, oublier puis supplanter par les Pokémon. Mais peut-être ne sont-ils pas disparus pour toujours, peut-être réapparaitront-ils un jour sous une forme nouvelle, et, alors, jetteront-ils un regard coupable sur ce Tamagotchi Town qui, comme chant du cygne, sonne décidément bien faux.
le 27 février 2004
par sanjuro