On ne vous la fait pas, à vous, le joueur averti. Si l'on vous dit le nom d'Irem, vous savez qu'ils ne sont pas juste les auteurs de R-Type, mais qu'ils ont bien d'autres jeux à leur actif. Seulement, si l'on vous demande d'en citer, peut-être aurez-vous du mal. Il se peut que vous mentionniez Kung Fu sur NES ou Ninja Spirits sur PC Engine, des adaptations de leurs jeux d'arcade, comme souvent, mais les noms ne viendront sans doute pas facilement. Le fait est, qu'à part R-Type, Irem n'a pas eu de méga-hits quand bien même ils se sont essayés à des genres variés, action, plates-formes, sports et autres. Legend of Hero Tonma offre un élément de réponse sur le pourquoi du comment de ces échecs silencieux.

Il y a une princesse, là-haut, dans le château perché sur la montagne, qui attend d'être délivrée. Pour tirer les oreilles (qu'il a grandes) et botter le train du démon qui l'a kidnappée, un héros est sommé de se mettre au boulot. Il répond au nom de Tommy. Du coup, on se demande au juste qui est ce "Tonma". Selon toute probabilité, il s'agit du même individu; peut-être les auteurs ont-ils été pris de panique quand ils se sont rendu compte à quel point "Legend of Hero Tommy" sonne faux.

Il faut avouer que Tommy n'est pas un héros ordinaire. Il est, comment dire, potelé. Ca ne l'empêche pas de courir vigoureusement et de sauter aussi haut qu'un perchiste à la seule force de ses jambes, cependant, il n'a pas vraiment le physique du héros. Dans son pays, personne ne s'en aperçoit, car tout le monde a tendance à avoir de l'embonpoint. Même les monstres sont courts sur pattes avec des membres bien ronds et un visage joufflu, tant et si bien qu'on pourrait se croire devant une toile animée de Fernando Botero. C'est un style graphique particulier et dans un sens appréciable, qui rappelle un peu aussi les héros de Rainbow Islands.

Irem espérait peut-être nous faire le coup d'un Mario, un personnage avec un peu le profil d'un anti-héros mais dans un univers suffisamment charismatique pour en devenir finalement très attachant. Il a des mimiques rigolotes comme d'attaquer en levant le bras et l'index, ce qui passerait presque pour une tentative paresseuse d'imiter la pause de John Travolta dans La Fièvre du Samedi Soir. Même la façon qu'il a de bondir sur les têtes évoque un gros poupon qu'on ferait sauter sur ses genoux. Quand il est vaincu, il ne laisse que sa cape flottée derrière lui, ce qui a un certain style.

Certains ennemis aussi ont des traits charismatiques, les petits chevaliers qui se blottissent derrière un bouclier aussi grand qu'eux, les démons adeptes du jogging avec leur masque à cornes, et quelques autres. Cependant, il manque quelque chose à cet univers, un raffinement, une cohésion, une profondeur, peut-être tout à la fois, qui donne finalement au jeu une impression de vide et d'inconsistance lui ôtant toute grandeur. Il ne reste plus que de courtes scènes, comme des flashes, où l'on sent que Legend of Hero Tonma aurait pu être autrement plus convaincant.

Cette impression est renforcée par deux autres défauts très marqués, la brièveté des niveaux et leur manque de renouvellement. Tous sont si courts qu'en fonçant tête baissée on doit pouvoir atteindre le boss en moins d'une minute. Le second niveau, au pied de la montagne, s'évertue à faire pire que tous les autres, on grimpe quatre écrans de haut et nous voilà déjà arrivés. Par conséquent, la difficulté du jeu est élevée, la faute aussi à une jouabilité peu avenante. Non content de n'avoir que six minuscules niveaux, Irem a commis une autre faute, celle de ne pas les rendre assez variés. Il y a un ou deux nouveaux ennemis par niveau, mais les précédents sont largement réutilisés dans des environnements qui ne changent pas.

Il n'y a que le premier niveau qui offre un peu plus de diversité que les autres, avec une espèce de mini-boss, une salle hantée et quelques pans de décor, les autres souffrent d'une continuité graphique rébarbative. Pourtant le graphisme n'est pas vilain, il a des hauts et des bas, certaines portions sont très détaillées, ce qui permet d'apprécier par exemple les aspérités de la pierre et du bois, alors que les fonds sont à mourir d'ennui et que des motifs, comme la brique, se répètent trop. Les couleurs sont éclatantes, beaucoup mieux qu'en arcade où le jeu était d'un gris pierreux. A ce propos, Legend of Hero Tonma, comme plusieurs jeux d'Irem sur PC Engine, utilise la moyenne résolution de la console plutôt que la basse, lui conférant cinquante pixels de plus dans le sens de la longueur qui lui permettent ainsi d'obtenir le même format d'écran, 1:50, que sur leurs bornes d'arcade.

Les boss s'en tirent assez bien, et eux sont moins gras que larges. Il y a un squelette habillé en guerrier, qui se bat devant une muraille de crânes digne de l'Ossuaire de Sedlec; un arbre au corps noueux fait de branches mortes, dans un combat qui anticipe de quelques années un fameux boss de Kirby; une entité finale à tête de chauve-souris dont les mains s'agitent comme un autre boss de HAL; deux borgnes moustachus, assis sur une statue de démon à corne, lançant des boules de pierre; d'étranges statues de dragons à quatre têtes et un oeil; un gigantesque faciès de pierre avec, dans sa bouche, ô surprise, un lemming, ou en tous cas un hippie à cheveux verts qui ressemble beaucoup au rongeur niais; et puis au second niveau un dragon dont les mouvements de va-et-vient rappellent le ver géant d'un autre niveau deux, celui de R-Type. Coïncidence ou non ? A vous de juger.

Lorsqu'on joue à Tonma, on a une autre occasion de penser au shoot'em up vedette. Tommy a deux méthodes pour vaincre: sauter sur la tête de ses ennemis, ou leur lancer des boules de feu. L'attaque sautée, tout comme le graphisme, contribue à lui donner de vagues airs de jeu de plates-formes, seulement, cette attaque est faible, elle ne fait que paralyser et n'est fatale qu'au troisième coup. Il est préférable, et de loin, de se servir du tir. C'est lui qui évoque R-Type. C'est un tir de shoot'em up, large, rapide, qui augmente en puissance et auquel s'ajoute un tir secondaire: explosifs, missiles, têtes chercheuses. Le rythme et la difficulté font aussi penser à un shoot. Même cloué à terre, Irem n'arrive pas à se débarrasser de ses tics.

Et justement, le talent qu'on leur connaît pour les jeux de tir est ici absent. Legend of Hero Tonma est un jeu d'action qui a du mal à offrir de la bonne action, on sent Irem hésitant avec un genre qui ne leur est pas si familier. Ils avaient comme modèle, de toute évidence, la série des Ghouls'N Ghosts de Capcom. Une même atmosphère macabre traitée avec légèreté - mais avec plus de légèreté encore, ce qui n'est pas pour lui réussir -, le plan en début du niveau, une princesse captive dans l'antre d'un démon, c'est du Arthur tout craché. Mais à cause de défauts majeurs, l'expérience est aussi brève que placide, et s'il y avait une seule qualité finalement à retenir outre le design osé de ses personnages replets, ce serait la musique. Utilisant à merveille quatre des six voies stéréo de la console, on l'imagine jouée par un diablotin virtuose à quatre bras, pianotant fiévreusement sur un harmonium orné de gargouilles grimaçantes. Il y a des morceaux originaux, élaborés et trépidants; toutes les qualités qui manquent à cette aventure de Tonma.