Ayant toujours eu un faible pour Paranoia, cette review risque de manquer quelque peu d'objectivité. La note semble relativement modeste, alors peut-être l'avertissement est inutile, mais avant même d'y avoir joué, j'avais déjà succombé à Paranoia, par son nom, par sa jaquette. Elle fait partie de ces belles images dont on garde un souvenir fort pendant des années, parfois pour toujours, comme ces illustrations de science-fiction et d'heroic fantasy de livres dont vous êtes le héros et de jeux de rôle. Les jeux vidéo n'en ont pas eu autant que leurs homologues de papiers - le web nous invite surtout à des expositions des pires couvertures - mais il existe tout de même quelques beaux exemples, surtout sur PC Engine.
Cet oeil énorme tenu par une main griffue qui surgit d'un paysage, le fracassant comme le verre d'un miroir, a des connotations profondes qui réfléchissent le thème du jeu, on semble nous promettre de jouer avec la réalité et notre esprit. Celui-ci est déjà en effervescence à cette idée, brodant un jeu sur la suggestion d'une seule image. C'est une invitation qu'on ne peut résister. Pourtant, ce n'est qu'un shoot'em up, il y a un vaisseau dans l'angle pour nous le rappeler. C'est peut-être ce qu'il y a de plus excitant, comment un genre aussi rigoureux et prévisible pourrait briser notre réalité, nous surprendre et nous troubler.
L'écran titre déjà est curieux, couleurs, caractères, représentation, ce n'est pas l'accueil que l'on reçoit ordinairement d'un shoot'em up. "Paranoia" est écrit en lettres d'or avec de nombreux empattements tandis qu'au milieu, d'un mauve très sombre, rebondit ce qui ressemble à un gros haricot posé sur une montagne aux formes arrondies, à moins qu'il ne s'agisse de tissu organique et que le haricot soit un organe. Malheureusement, comme nous allons le voir, ce premier écran un peu pauvret est peut-être ce qu'il y a de plus bizarre et incompréhensible dans tout le jeu.
Avant de pousser l'analyse plus loin, il faut vous dire que Paranoia a une histoire. Décidément, après Down Load, si ça continue ça va devenir une habitude de voir des shoot'em ups avec un scénario ! Peu de chance qu'ils soient quand même aussi osés que celui de Paranoia. D'après la version américaine, en laissant vos pensées errées dans la partie où résident vos mauvais instincts, vous vous retrouvez soudain emprisonné. Une entité nommée Devil Ugar prend progressivement contrôle de votre cerveau; pour survivre, il va falloir tenter de vous échapper de votre subconscient. Vous imaginez alors un vaisseau spatial, qui sera votre radeau pour traverser les océans agités de votre imagination.
On commence justement au bord de la plage. Premier constat, vous n'êtes pas très créatif, votre vaisseau est assez laid, il ressemble à un suppositoire avec des ailerons. Vous auriez pu au moins imaginer un jet qui a l'air cool, et pourquoi est-il si lent et son armement si médiocre ? Juste trois malheureux tirs et l'un d'eux est passablement ridicule. Vous êtes franchement nul, même pas fichu d'imaginer de quoi vous défendre, ne venez pas vous plaindre quand vous mourrez ! C'est l'avantage d'un tel scénario, les concepteurs peuvent tout vous reprocher, ce n'est pas leur faute si vous manquez d'imagination. Mouhahaha ! Leur rire diabolique nous résonne encore dans les oreilles.
Au fur et à mesure que l'on avance dans ce niveau, le bas du décor se déchire puis dégouline; ce n'est pas animé, malheureusement. On remarque aussi des boyaux rosâtres derrière des tubes de verre, qui pourraient être des viscères ou du cerveau en pâté. La plupart des enemmis sont tout petits et évoquent des têtards et des chenilles métallisés. Plus loin on traverse des nuages et l'on rencontre l'oeil qui s'exhibe sur la couverture, sauf qu'il est beaucoup moins impressionnant. Mal fichu et même un peu ridicule, il a des complexes et préfère se dissimuler derrière ses nuages. C'est peut-être le moment décisif où l'on réalise que Paranoia ne tiendra pas ses promesses.
Et en effet, au niveau suivant on retrouve le même fond cette fois-ci en demi-teinte avec au premier plan des carrés de couleurs vifs qui évoquent un peu Parodius. Les ennemis ont grossi mais ils semblent tous venus de la mer, Paranoia - The Beach Adventure ? Le boss est un peu plus folâtre, mais à peine. Deux crânes qui n'en forment qu'un, se traînant avec sa grosse langue rose sur le mur, on retrouve au moins l'esprit "nécroludique" de Naxat. Vous devez vous glisser jusqu'à lui en évitant deux lames taillées dans des os qui surgissent comme de couteaux à cran d'arrêt. La description de ce boss est peut-être plus saisissante lue que vue.
Après, c'est le déclin. On se trouve dans un niveau clairement d'inspiration japonaise où l'on se bat contre des masques de No et des pétales vivants entre de fades bouquets d'ikebana, pour finalement faire face au renard à neuf queues, le kyōbi no kitsune de la mythologie japonaise. Le quatrième niveau est un grand n'importe quoi, mais ça ne veut pas dire pour autant qu'il produit l'effet recherché. L'inspiration vient maintenant des Indes, mais soit parce que les graphistes manquaient de connaissances, soit parce qu'ils n'avaient cure de faire des recherches, on y croise des masques de démons japonais sur fond de lutins verts.
Le dernier niveau - mais oui, déjà, cinq comme les doigts de la main - est quant à lui un classique niveau final, tendance glauque, c'est du Naxat tout craché, celui de W-Ring et de la série des Crash. Assez joli quoique sans originalité, on a presque l'impression qu'il a été apposé sur le mauvais jeu. Un générique de fin bidon et puis, surprise, Welcome to Paranoia World II ! Pendant une seconde on se dit "waouh, c'est maintenant que le vrai délire commence", sans trop y croire, parce que quand un jeu déçoit il le fait généralement jusqu'au bout, et en effet, il n'y avait pas à se leurrer, on vous propose le même parcours en beaucoup plus dur, tirs plus rapides, ennemis plus résistants avec, évidemment, une fin strictement identique. En vérité, cela ne lui apporte aucun sursis.
S'il se peut que cette review soit biaisée, comme on le craignait en début d'article, cela ne vient pas du fait que son auteur - et peut-être au travers de lui d'autres joueurs qui se reconnaîtront - chérit trop le jeu mais au contraire que ses espérances étaient trop grandes. Paranoia n'est au fond qu'un shoot'em up ordinaire. A vrai dire, quand on y regarde de plus près, on a l'impression qu'il n'a pas été conçu volontairement comme un jeu disparate mais qu'il s'est retrouvé comme ça un peu par hasard, avec des niveaux d'inspiration maritime, d'autres exotiques et un parfaitement conventionnel, et que pour unifier le tout les auteurs lui ont donné cette thématique de l'esprit, ce nom prometteur de Paranoia, une belle illustration et ont espéré que le chaland morde à l'hameçon.
Ses prétentions n'étant pas à la hauteur, on se sent quelque peu trahi. Le premier niveau est une entrée assez correcte, au-delà le jeu aurait tendance à s'éteindre; c'est le seul moment où il est vraiment en accord avec son thème. Sans être exceptionnel, c'est bien mieux que ce qui suit. La réussite du début est aussi dûe à la musique, avec ses sons bizarres et discordants, elle est adéquate. Toutes les musiques sont bonnes à l'exception de celle du Stage 4, fort mauvaise par rapport au reste, mais il n'y a que la première, et la seconde dans une moindre mesure, qui aient le style dérangeant attendu. C'est sûr, Paranoia n'a pas inventé la méga-bombe à couper le beurre. Son sale petit monstre (Ugar ?) qui lève le majeur et dit un "touid-douut" qui, paraît-il, se traduit par "fuck you", est ce que certains joueurs choisissent d'en retenir. Sur 1UP, on préfèrera composer un scrapbook de ses quelques qualités: le premier niveau, les musiques, le second et dernier boss, et bien entendu son inoubliable couverture.
le 5 octobre 2007
par sanjuro