Une moue d'indignation barre le visage du lecteur. 1UP, sanjuro, vous exagérez ! Encore le test d'un très vieux jeu NES ! Elle qui a tant de bons titres dans sa ludothèque et qui, tel l'étonnant Benjamin Button, semble rajeunir au cours de sa vie, pourquoi se cantonner aux décrépitudes de sa naissance?
Vous avez bien raison, ami lecteur, les balbutiements de la NES sont une affaire assez barbante. Mais pas totalement inintéressante ! Et dans ce cas précis, c'est tout de même d'un jeu DK et donc Nintendo dont il s'agit. Si le très respecté Donkey Kong, premier du nom, parvient toujours à imposer un silence révérenciel, même parmi ceux qui se fichent complètement du jeu, les deux suivants ne produisent pas le même effet. Ils ne possèdent pas le même prestige, ils n'ont pas la primauté du principe, ni la gloire d'avoir lancé un phénomène et écrit l'histoire. Pourtant, comme nous allons le voir, ce n'est pas tout à fait juste: Donkey Kong Jr a joué une part plus importante dans le futur de Nintendo qu'on pourrait le croire; lui aussi mérite du respect et des bananes.
Vaincre le terrible gorille n'a été pour Mario qu'une question de minutes. Trois minuscules niveaux, fin du duel: Kong s'écrase tête la première au pied de l'échafaudage. Mais aussitôt terminé, tout est à refaire. Le jeu est une suite infinie de répétitions, tant et si bien qu'on ne saurait dire qui de Mario ou du singe grimaçant a vraiment remporté la victoire. Donkey Kong Jr vient remettre les pendules à l'heure. DK, quelque peu figé, est enfermé dans une cage. A proximité, un court fouet en main qu'il fait claquer selon son inspiration, se tient Mario. Tous deux sont au sommet de l'écran, place traditionnelle des vainqueurs. Pas de trace de Pauline, Mario la garde bien au chaud dans son lit.
Tout en bas, attend un gosse. Ce n'est pas le fruit de cette chaleureuse union car ce gosse n'est pas fait comme vous et moi: il a le poil dru et brillant, les yeux aussi rapprochés que les coins des lèvres sont éloignés, des bras de la longueur du corps, jambes comprises, elles toutes petites. Ne le prenez pas mal si cette description vous ressemble quand même, il s'agit d'un singe. Il arbore un débardeur blanc avec un J capital pour "Junior", parce qu'il est bien le fils de son père, et sans doute aussi pour "Justice", parce qu'il est là évidemment pour le délivrer. Mais ce qu'il attend en ce moment, ce ne sont pas les adjurations de son père, décidément d'une immobilité exemplaire quoique intrigante (Mario l'aurait-il empaillé ?), ce sont les ordres du joueur.
On l'avait deviné, c'était facile, Junior est le héros de cette seconde aventure. En 1982, lorsque cette suite sort dans les salles d'arcade, Nintendo est en plein procès contre les producteurs d'Universal qui les accusent, avec le jeu précédent, d'avoir plagié le film et surtout le personnage de King Kong. Nintendo, insouciant comme le petit chaperon rouge, sort alors ce nouveau jeu mettant en scène le fils de Donkey Kong, tout comme la RKO avait sorti, immédiatement après King Kong en 1933, The Son of Kong (Le Fils de Kong) ! On ne sait s'il s'agit de culot ou de sang-froid, mais en tous cas ces Japonais n'en manquent pas. Toutefois, un an plus tard, lorsque les deux jeux se retrouvent sur Famicom comme titres de lancement, Nintendo n'a plus à se soucier des ressemblances avec l'autre Kong, car le procès, ils l'ont gagné.
Si la jouabilité et les niveaux sont différents, le reste du jeu lui a tout hérité du côté paternel. C'est toujours aussi court mais avec quatre niveaux au lieu de trois, parce que Donkey Kong, on ne sait pourquoi, manquait un niveau par rapport au jeu d'arcade. Tous deux tiennent pourtant sur une minuscule cartouche de 25 KB (la page principale de 1UP est au moins deux fois plus larges). A deux lettres près, les écrans titres eux aussi sont interchangeables, tout comme les musiques, très discrètes, frôlant l'absentéisme, avec leurs thèmes concis mais charmants.
Le premier niveau, juste un écran comme tous les suivants, se compose de lianes suspendues à des plates-formes. Quelques fruits bonus à ramasser et quelques gueules de crocos à éviter agrémentent cette ascension, mais c'est surtout l'occasion de se familiariser avec le contrôle assez original de Junior. Lorsqu'il grimpe à la liane, le petit fait une grimace qui exprime assez bien la lenteur mortifiante avec laquelle il s'élève. Il faut basculer sur le côté pour saisir une autre liane, et rendre ainsi, membres écartés, la progression bien plus rapide. Inversement pour redescendre, cela va beaucoup plus vite en alignant ses mains. Observer les bonnes idées de gameplay qui donnent leur grâce aux jeux d'antan est une curieuse expérience car c'est l'un des rares domaines où tous les jeux, présents et passés, semblent à peu près égaux, et l'on ne peut s'empêcher ici d'amirer la trouvaille de Nintendo.
Plus ambitieux, le second niveau est le moins agréable à jouer à cause de certaines manoeuvres difficiles à réaliser. Cependant, c'est aussi l'un des niveaux les plus intéressants car c'est une esquisse du jeu de plates-formes tel qu'on le connaît. On pourrait même encore aller plus loin en disant que les éléments de ce niveau sont des crépitements de Super Mario Bros dans l'esprit de Shigeru Miyamoto. C'est la première apparition de plates-formes mouvantes horizontales, de plates-formes superposées dans le décor et du trampoline, tous repris dans Super Mario Bros. Malheureusement, les sauts ici sont trop durs à réaliser et tomber d'une plate-forme vers une autre plate-forme est considéré comme une chute mortelle !
Avant de passer au niveau suivant, il faut éviter des oiseaux lanceurs d'oeufs qui font quelque peu penser aux Albatoss de Super Mario Bros. 2. Justement, au troisième étage, impossible de ne pas penser à ce futur classique. Des plates-formes fluos sont parcourues par des étincelles exactement comme des Spark léchant les parois. Fun, rapide à traverser, il nous conduit au tout dernier niveau. Six verrous ferment la cage de Donkey Kong, posée sur une poutre transversale d'où pendent huit chaînes avec des clefs à leur bout. Le but est de pousser chaque clef le long de la chaîne pour les introduire dans la serrure. Ce serait simple s'il n'y avait pas des crocodiles dans le sens vertical et des corneilles à l'horizontal. Avec un peu de patience et le bon timing on finit par en venir à bout et, du même coup, du jeu aussi.
Pour le joueur très impliqué ou un peu fanatique, ce n'est que le début. La réelle épreuve pour lui sera de répéter l'exercice autant de fois que possible, surmontant une difficulté toujours croissante (les ennemis sortent à une cadence de plus en plus rapide) et améliorant son high score à la centaine de points près si nécessaire. Mais au XXIème siècle, c'est une espèce de joueurs rare, même parmi les retrogamers. Pour la plupart d'entre nous, le jeu finit à cet instant et démontre la brièveté de ces classiques ancestraux de Nintendo. On les regarde un peu comme les portraits de ces grands hommes qui illustrent les livres d'histoire, on comprend la valeur de ce qu'ils ont accompli mais ils sont trop éloignés de nous pour que l'on puisse encore partager le sentiment de leur accomplissement.
Lorsqu'on joue à Donkey Kong, même en tenant compte du niveau manquant, on ne retrouve finalement pas grande chose des futurs jeux Nintendo. En revanche, tout comme avec Mario Bros (sortie l'année suivante) et son univers de tuyaux, plusieurs références visuelles de Donkey Kong Jr préfigurent les jeux Super Mario. Les plates-formes des premier et second niveaux SONT les plates-formes de Super Mario Bros. Et quand on le réalise, cela fait un drôle effet, cela chatouille le subconscient. Super Mario Bros n'est pas tombé tout chaud dans nos consoles, il combine à des idées nouvelles d'autres de jeux plus anciens. C'est un arbre avec des racines profondément enfouies, si profondément qu'on oublierait parfois qu'elles existent et que l'une d'elles porte le nom de Donkey Kong Jr.
Trop sérieuse la conclusion... on ne va pas se quitter comme ça où vous allez accuser 1UP d'être sponsorié par une association de retraités (avec Cranky Kong à leur tête). On peut voir plus loin que Super Mario Bros, et justement, dans Donkey Kong Country, Rare a remis en scène un ennemi de Donkey Kong Jr: c'est Klaptrap, le petit crocodile qui fait claquer sa machoire comme un piège à souris et que l'on retrouve tout au long du jeu. Mais au fait, qu'est-il advenu de Junior (un nom qui évoque Indiana Jones mais mieux valait l'appeler ainsi durant le test que "JR", qui fait penser à Dallas) ? La généalogie des Kong étant un peu compliquée on a eu peu d'occasions de le revoir. Il aura néanmoins fait deux apparitions marquantes: en personnage caché dans Mario Tennis sur Nintendo 64 et avant cela, un peu plus rond, un peu plus balourd, mais le débardeur toujours aussi blanc, dans l'inoubliable Super Mario Kart !
le 20 février 2009
par sanjuro