Le super héros de comics le plus adapté en jeux vidéo n'est ni le célèbre Superman, ni le populaire Spider-Man mais le sombre et tourmenté Batman. Il y a difficilement un support qui lui ait échappé, de la Game Boy à la Playstation, il a jeté son ombre dans toutes sortes de jeux. Cet engouement pour un super héros peut-être plus complexe que ses collègues n'a rien de spontané, il est simplement le fait d'une coincidence qui a voulu que la fin des années 80 marque l'avènement des consoles et celui de Batman au cinéma. Lorsque sort en salles en 1988 le Batman de Tim Burton, il rencontre un succès énorme qui déclenche un raz de marée de produits dérivés comme on n'en avait jamais vu auparavant. La NES, petite console bien accueuillie par les foyers japonais et américains, recontre de son côté un succès grandissant. Rapprocher deux succès pour en faire naître un troisième est une formule que les gens du marketing commencent à bien saisir et c'est donc en toute logique que le chevalier noir s'associe au samouraï Nintendo.

Pour s'assurer des fruits de leur alliance, une boîte japonaise du nom de Sunsoft s'occupe du développement. Faire d'un film un jeu vidéo n'est pas une tâche aisée et plutôt que de perdre son temps à en respecter l'action et le visuel, Sunsoft a choisi de créer ses propres décors, ses niveaux et ses méchants. Et c'est tant mieux ! Certes, on suit grosso modo la trame du film, mais à l'exception des scènes intermédiaires, on ne reconnaît pas du tout le Batman de cinéma. Qu'importe, c'est un jeu de qualité que l'on veut et c'est bien ce que nous offre Sunsoft.

Un idiot sur Internet définissait ce Batman comme un jeu stupide où il faut frapper pour avancer. Batman est en effet un jeu d'action et il faut en effet battre ses ennemis pour avancer, mais il demande plus que cela, il demande aussi beaucoup d'adresse pour passer des phases de plates-formes très ardues que seul un saut bien mesuré efface. Il exige aussi de la réflexion qui se conjugue à l'habileté dont vous devez faire preuve pour vaincre certains ennemis qui se battent à un rythme frénétique dès que vous êtes près d'eux. La meilleure attaque consiste souvent à savoir garder ses distances, ce qui pourra plus d'une fois vous épargner le désespoir d'une mort trop subite. Car avec ses ennemis tendance "berserker", ses pièges multiples, Batman est un sacré défi qui pourrait en exaspérer plus d'un. Pour parcourir les niveaux rapidement, il faudra être soit un joueur hors pair soit avoir passé son temps dessus. Des continus infinis rendent la traversée moins laborieuse en vous réssuscitant au début de chaque niveau, ceux-ci n'en demeurant pas moins très difficiles. Le calvaire se prolonge jusqu'aux boss de fin de niveaux de plus en plus impossibles à tuer, à l'image du dernier, le Joker, qui se bat de manière "légèrement" plus agressive que dans le film.

Pour en arriver là, il faudra apprendre à bien maîtriser le personnage. La maniabilité est à la hauteur: Batman répond bien et utilise trois puissantes armes (pistolet, boomerang, triple shurikens) en plus de son poing. Ses talents de boxeur sont d'ailleurs souvent mis à contribution, et une manette équipée d'une fonction turbo devient alors un précieux atout. C'est assez rare pour être souligné, la pause s'effectue avec select et les changements d'armes avec start. Ce n'est pas juste une excentricité, la raison est que start est plus proche de A et B, et donc on gagne quelques nano secondes décisives lors du changement d'armes.

Un petit détail qui démontre du soin apporté par Sunsoft, voyez donc les images ! La NES a rarement su imposer de si beaux graphismes et une animation aussi fluide. Les décors sont très détaillés et tout en teintes sombres, Gotham City apparaît encore plus glauque que dans le film. Malgré la petitesse de certains sprites, les animations sont claires et fluides autant pour Batman que pour ses adversaires. Voir le chevalier noir s'enflammer sous la forme d'une chauve-souris quand il meurt, est par exemple du plus bel effet. Même la bande son a été soigneusement travaillée. La petite NES, malgré son faible processeur sonore a été l'instrument d'excellentes musiques, celles de Batman en font partie, bien rythmées, aux accents modernes, faciles à retenir, elles ne sont pas du tout nasillardes ou trop mécaniques comme ce fut souvent le cas sur 8 bits. Sunsoft s'est même permi le luxe d'ajouter des scènes "cinématiques" entre les niveaux, à base d'images fixes et de textes, histoire de nous rappeler que le jeu est tiré d'un film. Elles sont assez belles et l'on reconnaît aisément Kim Basinger ou même Jack Nicholson grimé en Joker. Remarquable !

Avec son Batman, Sunsoft a démontré très tôt que "film en jeu vidéo, joueur malheureux" était un faux dicton des jeux vidéo. Ils ont non seulement repoussé la NES dans ses derniers retranchements visuels, sonores et d'animation, mais ils ont aussi conçu un formidable jeu d'action, que même quelqu'un n'ayant pas conscience de la prouesse technique devrait apprécier. Mais attention, ça ne rigole pas à Gotham City ! Si les jeux difficiles vous rebutent, celui-ci vous fera rager. Il n'est pas insurmontable mais vous ne ferez presque jamais un pas sans tomber sur une nouvelle difficulté. A vous alors d'élaborer votre stratégie, votre méthode de jeu. Cela demande du temps, de nombreuses tentatives et donc de la patience, mais nous parlons là d'un jeu d'action 8 bits, d'une ère où sauvegarde et mot de passe étaient une faiblesse rarement jugée nécessaire. Alors que la mauvaise foi des perdants ne l'emporte pas sur la valeur d'un grand jeu, devenu le chef d'oeuvre d'une petite compagnie désormais trop discrète.