Petite Sympathie entre Valis et la Fantaisie de Lewis Carroll

Qu'y a-t-il de commun entre une japonaise des années 90 aux cheveux bleus tuant d'affreux monstres à l'épée et une petite fille anglaise explorant en 1865 un monde étrange et non-violent peuplé d'amusantes créatures ? Oh, pas grand-chose, mais tout de même quelques choses.

Dans Alice in Wonderland (Alice au Pays des Merveilles), roman de littérature enfantine surpassant bien des littératures pour adultes, la jeune Alice voit un lapin blanc portant un gilet et une montre à gousset disparaître dans un large terrier. En le suivant, elle échoue dans un curieux pays où rien n'est comme on l'attend. Alice et Valis ont déjà trois choses qui les rapprochent, le sexe féminin, leur jeunesse, et leur nom. Si Yuko est le nom de l'héroïne et Valis seulement celui de l'épée, Yuko est tout de même le soldat chargé de porter cette épée, symbole du monde des rêves dans lequel elle aussi s'aventure inconsciemment.

On trouve même un lapin blanc dans Valis, au sens figuré puisqu'il s'agit de Reiko, la camarade d'école de Yuko. C'est par elle que commencent les évènements étranges. C'est elle aussi que Yuko recherche implicitement, jusqu'à leur confrontation dans l'avant-dernier niveau. Yuko découvre que Reiko est l'un des sbires de Rogles, l'empereur maléfique, tout comme Alice découvre dans les deux derniers chapitres que le lapin blanc est le héraut du Roi et la Reine de Coeur, qui ne sont pas particulièrement gentils non plus.

Pour accéder à Vecanti, le monde des rêves, Yuko prend le même chemin qu'Alice suit pour entrer dans le Pays des Merveilles, celui des profondeurs. Le premier niveau est une descente vers l'entrée du métro, dans un souterrain qui aboutit à un trou dans un mur. Ce n'est pas le trou du lapin, mais peu s'en faut. Au-delà du mur l'attend un boss et après celui-ci une cinématique, où Yuko, fraîchement arrivée, rencontre Valia, la reine du pays, qui lui explique sa mission.

Alice, elle, n'a guère de mission, elle déambule à son gré, liant connaissance avec des êtres bizarres lui accordant peu d'importance. L'univers de Valis est lui aussi peuplé de créatures fantastiques, mais tout se règle à l'épée. C'est bien entendu une opposition fondamentale entre l'oeuvre littéraire et le jeu vidéo d'action. Pourtant, ils partagent aussi un point crucial, la qualité onirique de tous ces évènements sans pour autant renier complètement leur réalité. Alice se réveille dans le giron de sa soeur, sous un arbre, là où tout avait commencé, se débattant avec des feuilles mortes qu'elle prenait dans son rêve pour l'armée de cartes du Roi et de la Reine de Coeur.

Valis se réveille immédiatement après avoir vaincu Rogles, au même endroit elle aussi où tout avait commencé, sous le préau du lycée. Elle garde un souvenir tangible de ce qui s'est passé, le bandeau de Reiko, qui est morte. Reiko n'est pas seulement le "lapin blanc" de l'histoire, elle devient aussi, en scellant leur amitié lors de la troisième cinématique, un personnage intime comme la soeur d'Alice, qui à la fin du livre partage le même rêve. Alice reviendra à Wonderland, le Pays des Merveilles, tout comme Valis retournera à Vecanti.

L'imaginaire japonais abonde d'idées, mais il y a toujours eu une place d'honneur pour les fantaisies européennes de qualité comme les aventures d'Alice. La petite fille de Lewis Carroll aura distillé son inspiration dans bien des jeux vidéo, le plus évident étant sans doute Super Mario Bros. Alors on s'étonnera peu de trouver dans un jeu même apparemment radicalement éloigné comme Valis des bribes et des morceaux qui ne sont pas sans rappeler Alice au Pays des Merveilles.