Avant d'attaquer ce supplément pompeusement présenté comme une psychanalyse, prenez le temps d'examiner l'image ci-dessus, sur laquelle il sera bon également de revenir durant la lecture puisque c'est le sujet seul de cet article.
Le moyen d'accéder au dit niveau est en soi original. Il faut toucher le visage d'une femme avec votre bille pour lui faire changer d'apparence. Ses traits deviennent d'abord ceux d'un vampire, puis ceux d'un lézard humanoïde comme les envahisseurs déguisés de la série V. Une fois sa transformation finale atteinte, celle d'une créature reptilienne plutôt que d'un dragon, la bille est avalée par le monstre et vous accédez au niveau. Ce personnage est aussi placé, à la fois, exactement au centre du niveau, au tout début du jeu sur l'écran titre, sous forme d'invocation, et sur la couverture du jeu original Coregrafx et de la version Megadrive japonaise. Une figure donc importante pour les concepteurs.
Le niveau est une claque visuelle par rapport à tout le reste du jeu qui est pourtant déjà une prouesse. Extrêmement détaillée, la scène représente un corps d'homme à visage monstrueux sortant de la brume. Il est encadré, au premier plan, par deux gigantesques visages de femmes aux lèvres charnues et cramoisies, aux mentons desquelles se trouvent les flippers. Derrière et autour de ce démon sorti du néant se trouvent de nombreux orifices, il est également encadré par deux crânes qui semblent rattachés à sa chair et aux cavités supérieures. Les couleurs sont elles aussi marquantes, les teintes les plus vives, qui ne sont pas saturées, étant placées en périphérie du niveau.
Les deux femmes semblent endormies. Lorsque la bille frôle leur oeil, la paupière se soulève de manière assez déplaisante et la bille est absorbée puis rejetée. De la bouche du démon sort un gigantesque appendice bleu parcemé de veines rouges et de visages hurlants, tandis que ses bras s'allongent vers le visage des deux femmes. L'image se compose donc des deux femmes en contrebas, des orifices de tailles variables en haut et de l'homme-démon au milieu. Difficile alors, avec tous ces éléments en place, de ne pas y voir au moins quelques connotations sexuelles et peut-être même plus.
La tête du monstre est entourée de ces trous béants et rougeâtres en dedans, dont on peut facilement deviner le parallèle sexuel, lui-même est surplombé par ces orifices, comme pour indiquer que l'homme-démon est dominé par le sexe. La façon dont ces femmes semblent lui être soumises (en position inférieure et sous la main tendue, visages paisibles), bien qu'elles essayent en même temps de le détruire en contrôlant la bille, pourrait quant à elle évoquer le rapport entre les deux sexes, cette sorte d'attirance et de rejet simultanés pour cet homme-démon motivé par le sexe. Les deux crânes menaçants, eux, vu leur position, peuvent être un symbole de mise en garde lié au sexe et aux vices dont il est responsable.
L'appendice bleu peut tout simplement renvoyer à l'image du phallus. Il sort par la bouche, ce qui est parfois le cas dans la pornographie animée japonaise (Urotsukidoji) qui le représente par des tentacules sortant de la bouche de démons. On pourrait même aller encore plus loin en disant que tous ces visages hurlants représentent des spermatozoïdes ou des vies possibles, encore qu'ici vie et mort semblent être trop étroitement liés pour permettre une distinction claire. En continuant ce parallèle de la masse bleue représentant le phallus, on notera que le premier objectif est de séparer cet appendice de la bouche du démon, ou métaphoriquement, de trancher le pénis. Celui-ci, après, va d'ailleurs se glisser à l'intérieur des orifices ce qui ne fait que renforcer le parallèle avec les organes sexuels.
Tout aussi intéressant, l'unique moyen de venir à bout définitivement du démon est de détruire sa tête, car c'est bien là que tous les pensées et les vices liés au sexe se trouvent fondamentalement. Avant cela, l'homme démon et la masse bleue soufflent ou crachent une brume qui touche jusqu'aux lèvres des deux femmes, là encore des possibilités d'interprétation sont permises. Fait ô combien intéressant, qui soutient encore une fois le rapport amour et haine entre homme et femme que semble vouloir recréer cette saynète, quand le démon est vaincu, de l'oeil de la femme de droite s'écoule une larme, comme un regret d'avoir tué son amant. Pour finir, une note amusante mais peut-être elle aussi dans un sens révélatrice, sur un site de jeux vidéo, une fille évoquait l'appendice bleu sous le nom de "serpent". Un terme là encore qui fait un peu écho à la théorie précédente.
Globalement cette scène serait donc une façon à la fois de vénérer et d'immoler l'homme en tant que créature sexuelle. Cette interprétation pourra sembler excessive. Si elle ne concernait pas un jeu japonais et un jeu qui plus est aussi particulier, elle le serait peut-être, dans le cas présent, la scène est trop ambiguë pour ne contenir strictement aucune signification, consciente ou subconsciente. On connaît l'intérêt des Japonais pour le bizarre et de celui-ci en terme de sexualité, qui est souvent pour eux une manière d'aborder certains sujets complexes ou intimidants de manière détournée. Il n'est pas étonnant, au travers de cette scène d'un jeu vidéo qui évoque par exemple les dessins des mangaka Kazuo Umezu et Junji Ito, de retrouver cette thématique qui entremêle fantasmagorie, morbidité et sexe.