A la sortie du jeu Crüe Ball en 1992, la carrière de Mötley Crüe compte cinq albums, un tous les deux ans pendant l'intégralité des années 80. En 1991, pour commémorer cette période faste, une compilation de leurs plus grands succès, Decade of Decadence, voit le jour. Un peu comme s'ils avaient compris que le meilleur n'était pas à venir, mais qu'il venait juste de se terminer.
Mötley Crew est un groupe américain de hard rock, plus heavy metal à leurs débuts que par la suite. Nikki Sixx, son bassiste, est aussi le principal compositeur de leurs chansons. Le reste du groupe se compose de Vince Neil, le chanteur blond, le guitariste Mick Mars, et le batteur Tommy Lee, qui est probablement le plus connu des quatre puisqu'il était marié à Pamela Anderson et que leurs frasques faisaient les chous gras des journaux à scandale. Quand le nom de Mötley Crüe était mentionné en France, c'était généralement en rapport au couple.
Leur premier album se nomme Too Fast for Love (1981) et c'est incontestablement le meilleur de tous. Il est énergique, mélodique, et surtout, frais, avec de la personnalité. Le côté métal est présent mais pas trop appuyé, donc accessible au grand public. Toutes les chansons sont écrites par Nikki Sixx, qui donne l'impression d'avoir donné le meilleur de lui-même. Aucun des autres albums n'a cette pêche et ce charisme. Même la couverture provocante a plus d'allure que les suivantes. C'est l'album des débuts, celui où l'on mise tout, où l'on a mis des idées mûries depuis longtemps; et on le ressent à l'écoute.
Les bad boys attaquent sur les chapeaux de roue avec Live Wire, une chanson qui déménage, reprise dans Crüe Ball où elle y est méconnaissable. Un peu plus loin, on décolle avec Merry-Go-Round, un slow envoûtant dans le style de Blue Öyster Cult et peut-être leur meilleur titre, qui servait d'ailleurs à faire la promo de l'album en 1982. Un autre hit assuré est la chanson titulaire avec son rythme et son refrain entêtants : « Too fast t-too fast for love... » D'autres morceaux qui balancent prennent la relève comme Starry Eyes, On with the Show, et même Stick to Your Guns, qui avait été retiré dans la réédition de 1982 mais que l'on trouve en bonus dans les CD récents.
Too Fast for Love est un de ces premiers albums quasi-parfaits qui laissent habituellement présager de deux avenirs contraires : soit le signe annonciateur de futurs grands albums, comme Nirvana avec Bleach, soit, au contraire, un déclin progressif et immédiat.
Le second disque, Shout at the Devil (1983), laisse peu de doutes sur la voie empruntée. Il comporte deux ou trois très bonnes chansons, peut-être même un peu plus, mais il n'a plus le même attrait, ni la même durabilité. On retiendra quand même l'éloquent Bastard, composé là encore par Nikki Sixx, et une reprise de Helter Skelter des Beatles, nettement supérieure aux autres reprises du groupe (notamment au bruyant Jailhouse Rock). Dans l'ensemble, l'album, avec aussi Shout at the Devil and Looks that Kill, est quand même de bonne facture.
Ca se gâte un peu avec le suivant, Theatre of Pain (1985), qui pourtant commence relativement bien. Mais chez lui, on sent surtout que le métal s'appauvrit au profit d'un hard rock plus conventionnel, voire de la bifurcation vers d'autres genres, par exemple du blues. Après City Boy Blues, Smokin' in the Boys Room et Louder than Hell, on entre dans une succession de chansons répétitives. Même leur ballade Home Sweet Home, que l'on peut entendre dans Crüe Ball, est mignonne mais semble assez molle pour un groupe comme Mötley Crüe (d'ailleurs une chanteuse de country vedette d'American Idol l'a trouvée à son goût et l'a reprise; c'est dire !). Le morceau que nous retiendrons, c'est Use It or Lose It, du bon métal qui balance comme leurs tubes des albums précédents. Ce n'est pas lui qu'une cow-boyesse irait chanter !
Le déclin se poursuit avec Girls, Girls, Girls (1987). Même s'il n'est pas mauvais, l'album s'épuise encore plus vite que le précédent. La plupart des chansons n'accrochent pas et pour la première fois, aucune n'arrive à se distinguer. Wild Side est sympa mais manque d'originalité : c'est du hard rock routinier, Live Wire pour les enfants. La présence de choeurs dans d'autres morceaux renforce le côté pop. Et puis, malgré Girls, Girls, Girls, il y a un côté rockers usés, qui ne chantent plus sur le sexe mais sur les nanas qui les ont plaqués ou sont sur le point de le faire.
Le succès de Mötley Crüe, qui vit à fond la devise « sexe, drogue et rock 'n' roll », leur coûte cher d'un point de vue personnel. Pour échapper à l'alcoolisme et à leurs autres démons, ils entrent dans une clinique de réhabilitation, l'endroit favori des célébrités après les auditoriums pour la remise des prix. Cela leur inspire leur dernier album des années 80, Dr Feelgood (1989). Les critiques l'aiment beaucoup. Peut-être parce que c'est le plus « grand public » de tous leurs disques, frisant parfois le rock-pop, avec le genre de morceaux anodins qui passe bien à la radio, ou alors peut-être parce que, par rapport à leur album précédent, qui faisait fatigué, Dr Feelgood donne effectivement l'impression que Mötley Crüe s'est un peu revitalisé.
Mais leur meilleur album ? Non, certainement pas. Non content de s'oublier assez vite, on a déjà du mal à le finir une première fois sans décrocher. Leur meilleur album, on le répète, est Too Fast for Love, suivi de Shout at the Devil, qui tient encore bien la route. Même Theatre of Pain est plus original et branché que cet opus spécial MTV. D'ailleurs, à part la chanson titre, Dr Feelgood, au riff mémorable qui lui vaut de lancer Crüe Ball, difficile d'en extraire un second tube.
La dernière piste s'appelle Time for Change. Mötley Crüe sentait mieux que personne que c'était la fin de leur âge d'or, que les prochaines décennies ne seraient pas aussi clémentes pour eux que l'avaient été les années 80. Et effectivement, leurs albums suivants, au nombre de quatre, des années 90 à 2000, ont généralement été mal reçus. Le premier s'appelle simplement Mötley Crüe (1994). Une drôle d'ironie puisque c'est le seul où le chanteur Vince Neil n'apparaît pas ! Suivirent Generation Swine (1997), New Tattoo (2000) et Saints of Los Angeles (2008). Je n'en ai écouté aucun, parce que ça ne me disait rien, sentant bien que leur carrière allait en décroissant depuis son début, et que de toute façon cela sortait du cadre de ce supplément.
Mais si l'on se concentre sur les années 80, Mötley Crüe est un groupe qui vaut le détour, avec des titres métal ou rock accrocheurs, et une majorité d'albums qui méritent qu'on leur prête une oreille et même deux. Ils sont très loin d'être aussi connus en France que Guns N' Roses ou AC/DC, et on peut se demander pourquoi.