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TEST · REVIEW · CRITIQUECONSOLE SEGA MEGA DRIVE (16-bit)


Avé César ! Ceux qui vont jouer te saluent.

Centurion - Defender of Rome

Centurion - Defender of Rome

Suppléments:

Carnet de Conquête

 Mega Drive

Développeur:
Bits of Magic

Editeur:
Electronic Arts
Genre:
Stratégie

Joueurs:
1P

Dates de sortie
1991 USA
09.1991 Europe
dur Difficulté:

57%Graphismes
52%Animation
70%Son
45%Jouabilité
92%Durée de vie

60%60%
Trucs et astuces

Mots de passe:

Pour commencer en 208 BC au rang de Proconsul avec 11 légions, plus de 4000 talents et tout l'empire conquis à l'exception de la Sardaigne, entrez le code suivant:

TKYB - ABSD - 5555 15VK - VKVG - J7A7


Pour commencer une partie au rang de Proconsul avec 11 légions et plus de 35000 talents, entrez le code suivant:

TAGY - V6P5 - QAAA AH3K - VKVA - MIES


Pour commencer en 372 BC au rang de Proconsul avec 10 légions, plus de 3000 talents et tout l'empire conquis, entrez le code suivant:

QDUA - YQ25 - 5555 55NK - VKXW - IPJI

Rome toute-puissante. Rome la superbe. Rome, chef-d'oeuvre de l'Antiquité et symbole du pouvoir impérial. Mais Rome ne s'est pas faite en un jour ! Et ce n'est plus de la cité bâtie au bord du Tibre dont on parle, mais de l'empire, l'immense territoire façonné par des générations de souverains et s'étendant de la péninsule ibérique à l'Asie mineure. Cinq cents ans de conquête, des guerres formidables, des expéditions monumentales, des changements de régime qui auront transformé une république en dictature, des personnages que le temps n'aura pu faire oublier, de César à Néron. Une cité née après la chute de Troie, qui aura joui de sa force pendant plus d'un millénaire, vivant la naissance du Christ, avant de tomber à son tour, sous les invasions barbares.

L'empire romain alimente encore bien des rêves, ceux d'historiens et d'archéologues, mais aussi ceux de gens ordinaires comme les joueurs. En 1990 après J.-C., Kellyn Beck, l'auteur du jeu de stratégie Defender of the Crown sur Amiga (adapté sur NES par Konami), décide de remettre le couvert en choisissant cette fois-ci comme décor l'Antiquité et comme plate-forme le PC. Le jeu est développé en partenariat avec Bits of Magic mais l'interface demeure assez proche du jeu précédent. Dès l'année suivante, avec l'intervention d'Electronic Arts, très influent sur la 16 bits, Centurion: Defender of Rome est porté sur Mega Drive, ouvrant la voie à un nouveau type de jeux rarement vus sur consoles jusqu'ici.

Si l'on adopte un point de vue un peu moins positif, on peut dire que EA n'a fait que passer derrière Micronet, qui, avec son Caesar no Yabou / Ambition of Caesar (Warrior of Rome en version US) basé sur le modèle du Nobunaga no Yabou de Koei, avait déjà pris les rênes du genre la même année sur Mega Drive. Et puis surtout, comme nous allons le voir dans cet article, EA, devançant quelque peu son image de evil corporation, ne s'était pas foulé avec cette conversion. Pour s'en convaincre, on fera remarquer qu'une seule personne en était chargée: Evan Robinson, le fondateur de Bits of Magic.

Sous vos yeux s'étend la carte de l'Europe. En unités romaines, elle fait 320 pixelus de long par 224 de large, bref, elle tient sur un écran. Et cette carte, vous la verrez si souvent que son image finira par s'imprimer sur votre rétine, s'affichant d'un battement de cil sur le mur de votre chambre. Elle tient lieu de centre de contrôle des troupes (la carte, pas votre chambre). Chaque armée romaine que vous dirigez, chaque légion puisque tel est leur nom, peut se mouvoir d'un pays limitrophe à l'autre une fois par an. En langage de jeu, cela signifie que vous pouvez déplacer vos pions dans une case voisine à chaque tour. Au début, vous ne disposez que d'une seule légion de 4200 fantassins cantonnée à Rome, votre "case de départ".

Le but du jeu, comme dans tout wargame, est de conquérir du territoire; ici, chaque pays qui apparaît sur la carte. On commence au rang de centurion et au fur et à mesure qu'on s'élève dans la hiérarchie militaire puis politique, on gagne la liberté de créer et diriger de nouvelles légions, que l'on peut même embarquer dans des navires, les fameuses galères. Mais le nerf de la guerre étant comme on le sait l'argent, cela ne se fait pas gratuitement. Il faut dépenser des talents (une unité de mesure qui dans le cas présent vaut quelques dizaines de kilos d'argent) qui permettent de former une nouvelle armée en recrutant des hommes dans les cités sous tutelle romaine. C'est un cercle vicieux qui constitue le coeur du système de jeu: pour conquérir, il faut de grandes armées, pour bâtir de grandes armées, il faut régner sur de larges populations et leur soutirer le tribut.

Le tribut, c'est l'impôt romain que l'on règle séparément en fonction des états sur une échelle de cinq degrés: exempté, tolérable, irritant, oppressif et "les saigner à blanc". Il y a un indicateur d'humeur pour chaque population, affecté entre autres choses par la rigueur de cette taxe. Cela va de la satisfaction à l'esprit de rébellion, qui peut éclater en insurrection et en guerre si vous ne parvenez pas à apaiser l'opinion publique. Pour ce faire, on peut avoir recours à des distractions, coûteuses mais généralement assez efficaces; malheureusement, déception souvent répétée dans le jeu, il ne s'agit que de texte, sans aucun image ou scène jouable pour l'accompagner. "Le gouverneur a organisé un superbe spectacle qui a enchanté la population, le moral de la province est en hausse" ... mais pas celui du joueur.

Il y a d'autres facteurs qu'il est bon de connaître, surtout avant d'entreprendre la conquête d'un nouveau pays. En mettant le pied dans l'un d'eux, on est accueilli par un écran de dialogue, heureusement doté de quelques images, où l'on reçoit en premier lieu des informations importantes: richesse de la population (en vue du tribut), son courage et la force de l'armée. Le courage est plus important qu'il n'y paraît: s'il est faible, les soldats prendront facilement la fuite sur le champ de bataille; c'est à votre avantage quand vous les affrontez mais peut vite tourner à la catastrophe quand ils composent vos rangs. Cela permet aussi de se faire une idée sur d'éventuelles futures révoltes. Qu'on se rassure, le courage des Gaulois, y compris ceux de la province narbonnaise, est jugé positivement ("féroce" pour le premier, qui est la plus haute distinction). En revanche, on suppute que le jeu n'a pas été distribué dans les pays où le courage était qualifié de "faible"...

S'il y a un écran de dialogue, c'est qu'on peut en effet communiquer avec l'adversaire. Il est possible de convaincre certains chefs de s'allier à Rome sans verser de sang, mais ces hommes sont rares et l'exercice de la diplomatie est une opération difficile et périlleuse. Elle consiste à choisir la bonne réponse parmi une succession de choix multiples, au nombre de trois. Ce n'est guidé par aucune logique et une attitude qui déplaît à votre interlocuteur, qu'elle soit condescendante ou obséquieuse, déclenchera purement et simplement la guerre. Les batailles sont bien entendu là où tout se joue. Elles aussi tiennent sur un écran sans l'ombre d'un scrolling, comme presque tout dans ce jeu très figé.

Vu l'importance de ces scènes, on aurait espéré que la jouabilité soit au top. Mais il se trouve au contraire que les malheureuses tentatives de contrôle des troupes ne font que mettre en avant sa nature désastreuse. Il faut tout d'abord choisir une formation, c'est à dire définir grossièrement si les soldats sont équitablement répartis ou si un côté est renforcé. Ensuite, d'après ce choix, on pourra décider parmi une demi-dizaine de stratégies de guerre. L'ordinateur en fait autant, une pause incongrue s'ensuit, longue comme un temps de chargement CD, puis les deux fronts se mettent en marche.

On est d'abord dérouté par le peu d'options: quatre boutons dont un qui a clairement une importance capitale (Orders) mais qui, bizarrement, ne semble servir à rien de précis. Le bouton Melee, comme on le découvre vite, est très utile: il permet de casser la formation pour laisser les légionnaires se battre contre l'ennemi le plus proche. Sans lui, nos bonhommes ne sont que de braves courges qui marchent droit devant elles tant qu'elles ne rencontrent pas d'adversaires. Le bouton "Ordres" a pourtant bien un usage: il permet, en pausant le jeu, de voir le charisme et la portée de la voix du commandant, qui maintient les hommes sous pression. En théorie, il donne aussi la possibilité de contrôler les cohortes, la plus petite unité de l'armée (400 et quelques hommes), individuellement.

Seulement, cela ne ressemble en rien à un RPG tactique, il n'y a aucune indication sur le terrain, tout se fait avec le curseur dans la confusion la plus totale. Et une fois que, tant bien que mal, on croit avoir ordonné à son armée d'avancer de telle ou telle façon, on se retrouve généralement devant une scène de grand chaos où rien ne se passe comme on le voulait. Des cohortes s'en vont d'un côté sans rien faire, d'autres regardent dans la mauvaise direction pendant qu'on les massacre, sans parler de celles qui, au lieu d'effectuer un quart de tour sur la droite pour faire face à l'ennemi, préfèrent en faire trois sur la gauche. Intelligence artificielle, bêtise innée ! On peste contre ce système minable et on appuie sur le bouton Melee pour en finir, le seul qui donne généralement des résultats. Au lieu d'être le point culminant du jeu, les batailles en sont la faille, au point que l'on souhaite les éviter tant l'issue peut en être hasardeuse, même lorsqu'on dispose de l'avantage numérique.

La jouabilité a aussi des occasions de faire parler d'elle durant les courses de chars; l'une des deux seules séquences, avec les combats navals, eux aussi vus de dessus, où l'on dirige un sprite. Encore que "diriger" est un bien grand mot, il s'agit plutôt d'éviter d'en perdre le contrôle. L'attrait des courses réside dans le pari: on peut miser jusqu'à 100 talents qui seront doublés si l'on arrive premier, somme considérable qui permet d'éviter de toucher aux impôts avec les risques pour la stabilité de l'empire que cela comporte. Remporter les trois tours de piste n'est pas si dur pourvu qu'on ait parfaitement saisi le fonctionnement du véhicule, mais arriver à ça est une autre paire de manches. Si on ne sait pas qu'il ne faut jamais dépasser la barre de sûreté ni accélérer durant un virage, on est destiné à perdre encore et toujours, à voir son chariot se démantibuler sans rien y comprendre. Et ça ne pardonne pas: second, on ne récupère pas un denier de sa mise. Que l'avenir économique de la nation puisse dépendre d'une simple course de chars disputée à Rome est un autre sujet de perplexité.

La musique de Rob Hubbard (Road Rash), très emphatique avec ses trompettes et sa timbale, met bien dans l'ambiance, mais elle n'est pas adéquate aux longues heures que l'on passe devant les mêmes écrans en raison de la brièveté des morceaux. On se distraira avec les bruitages: hennissements, barrissements (les éléphants d'Hannibal sont là eux aussi), claquements du fouet, tonnerre des sabots, c'est plus grand que nature à défaut d'être d'un réalisme parfait. Le graphisme a ses moments aussi, on apprécie le détail dans la petitesse, toutefois, les quelques couleurs font un pauvre usage des capacités d'affichage de la Mega Drive, leur nombre étant très inférieur à un jeu ordinaire sur cette console. Ce qui fâche surtout sont les problèmes liés à la conversion, qu'il s'agisse de bugs ou de concessions. EA n'a pas jugé bon (économique ?) d'intégrer une pile de sauvegarde, alors à la place on doit rentrer des mots de passe de 12 caractères de long. Mais évidemment ces codes ne peuvent contenir tous les variables du jeu, et chaque reprise ressemble ainsi à un reset: on a perdu sa flotte, il faut redisposer ses légions, l'humeur du peuple et les réservistes ont changé.

Il y a de bonnes idées disséminées un peu partout, des options surprenantes comme la gestion de la corruption pendant les courses, mais tout cela est gâté par l'avarice de la réalisation. Entre les tours, on reçoit parfois, comme en tirant une carte dans un jeu de société, un bonus ou un malus lié à un évènement, souvent présenté humoristiquement: référence à Moïse ou Spartacus, accident près d'un volcan, maladie et autres. Pourquoi ne pas avoir ajouté une image, rien qu'une vignette pour rendre cela plus attrayant ? La mauvaise jouabilité rend elle le jeu plus dur qu'il ne devrait l'être, quoique l'absence de restriction temporelle laisse au moins le champ libre: tant qu'une légion existe, tout n'est pas perdu ! Et puis quand même, privilège assez rare, Centurion est un jeu franchement éducatif. Il vous fera rentrer dans le crâne le nom des pays et leurs frontières d'il y a plus de deux mille ans mieux que ne le ferait n'importe quel professeur. Le reste par contre, dates et batailles, ne valent pas un clou historiquement parlant.

Le format de ce test est bien représentatif de Centurion: Defender of Rome, l'article est long parce que le jeu est bien fourni en options et paramètres mais les images sont peu nombreuses car la variété lui fait défaut. C'est presque un jeu textuel. On serait tenté d'en attribuer la faute à ses origines ordinateur mais la comparaison aurait pour effet de se retourner contre cette version Mega Drive, en réalité moins riche en graphismes et possibilités. On pouvait par exemple faire construire un amphithéâtre et se battre au Colisée contre d'autres gladiateurs ou des bête féroces. Pourquoi cela a-t-il été retiré ? Il est difficile de croire que ce soit une question d'espace mémoire, la Mega Drive ne manquant pas de jeux bien plus riches graphiquement; Road Rash tient sur une cartouche de taille équivalente et il semble énorme en comparaison. Même en supposant que ce soit le cas, Electronic Arts aurait pu très bien lui donner une cartouche de 8 mégabits plutôt que celle de 6 sur laquelle il tient.

L'explication vraisemblable est qu'il s'agit d'une conversion bâclée. On en a la confirmation avec la jouabilité, maladroite à tous les niveaux, où les programmeurs semblent avoir fourré les commandes PC dans le programme comme on ferait rentrer un tuba dans un étui à violon. Le fabuleux empire romain n'est alors plus qu'un merdier injouable ! Rien à voir avec les adaptations consoles de Lemmings et Populous, qui, même s'il n'y a pas de quoi s'extasier sur la maniabilité, tirent au moins parti de la manette. Cette version ne profite même pas de son support, plutôt que d'être améliorée, elle est diminuée, bancale, entrelardée de bugs qui n'ont rien d'anodins: on vous demande d'ajuster l'image manuellement pour pouvoir la centrer ! Mieux encore, jugez avec cette image, qui a mal été convertie comme en témoignent les couleurs hideuses, mais qui figure pourtant telle quelle dans le jeu et au dos de la boîte. C'est à dire, au dos de la boîte américaine, l'européenne ayant droit aux images de la version PC qui n'ont rien à voir ! Malgré un cahier de doléances bien chargé, de défauts dignes d'un césar qui ne saurait pas son latin, l'Antiquité exerce une telle fascination qu'on se laisse prendre à ces rêves de conquête et de pouvoir, aidé par les nombreuses options offertes par l'interface.

Qu'on le veuille ou non, mille vie ducunt hominem per secula Romam, tous les chemins mènent à Rome !

le 19 mai 2009
par sanjuro



Jeu testé en version européenne
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