Le roi n'a qu'une fille, et bien entendu, il la gâte. Elle a toutes les consoles et jeux Sega, y compris le Mega-CD, et même ce jeu rare que vous ne trouvez nulle part. Plus impressionnant encore (peut-être pas de l'avis des collectionneurs), la princesse possède son propre zoo. Comme Michael Jackson ! (Love you Bubbles) Mais un enfant n'est qu'une petite personne, et les inonder de cadeaux, c'est faire autant de jouets orphelins.

La princesse veut un nouvel animal, bien qu'elle soit incapable de prendre soin de ceux qu'elle a déjà. Aussi, sur le conseil de son ministre, le roi décide d'organiser un concours pour trouver un gardien de zoo afin de veiller sur toutes les bébêtes de son altesse juniorissime. Ce n'est pas juste un poste à pourvoir, c'est un titre : Gardien de zoo royal !

Pour remporter ce concours, il faut livrer des duels de Baku Baku (l'« Animal » ayant été retiré des boîtes occidentales; va comprendre, Charles...). Sur le principe de Columns, il faut aligner des blocs du même symbole pour qu'il ne se passe... rien ! Les quatre blocs distincts, qui représentent une banane, une carotte, un bambou et un os ne disparaissent pas quand on les aligne. Est-ce un jeu nihiliste ? Suis-je destiné à perdre à tout jamais ?

Non, car pour qu'il y ait réaction, il faut se servir d'un bloc animal. Dès qu'il entre en contact avec son aliment de prédilection, l'animal le dévore, lui et tous ceux adjacents. Peu importe qu'ils forment une seule ligne ou non, ce qui compte, c'est le contact. Si une banane touche chacun des quatre côtés du bloc singe, il les mangera toutes. Même chose s'il se pose sur une pile tordue de dix, quinze bananes. Et tout de suite après la phase de nutrition vient la phase de défécation ! Ce que vous avez consommé se déverse en blocs sur votre adversaire. Je précise : des blocs similaires, pas des blocs de caca. Cela aurait été plus drôle évidemment.

Et donc, la banane est mangée par... ?
— Par le singe !!
La carotte est mangée par... ?
— Par le lapin !!
Le bambou est mangé par... ?
— Par le panda !!
Et l'os est mangé par... ?
— Par le cannibale !!!
Mais non, voyons, par le chien.
— Oooh !

Je vous sens déçu. C'est sûr que d'autres animaux ou d'autres variantes auraient pu être amusants, mais on imaginait mal un croisement entre Baku Baku Animal et House of the Dead. Cela dit, le cannibalisme n'est pas totalement absent du jeu. En effet, une chose curieuse, quoique logique en termes de gameplay, se produit : lorsqu'un bloc animal de la même espèce se retrouve accolé, suite à un enchaînement, à un bloc nourriture, eh bien, l'animal mangeur va aussi l'avaler !

Les parties sont énergiques et joyeuses, et même si le rythme s'accélère à certains moments, cela ne devient jamais invivable comme dans Tetris et consorts. Si vous êtes plus à la recherche d'un moment de détente que d'un challenge, Baku Baku Animal est fait pour vous.

Comme pour Tempo Jr, le précédent test Game Gear (euh, c'était il y a trois ans), Baku Baku Animal est issu de la Saturn, bien que lui soit d'abord passé par l'arcade nippone. Son univers est assez difficile à décrire en termes aimables. On est de toute évidence dans un monde de poupées et de jouets, mais aux formes lisses et dures avec des couleurs monstrueusement bariolées. Cela donne à ses habitants une apparence rigide, plastique et franchement désagréable. Ce ne sont pas des poupées qu'on aurait envie de dorloter. Elles ressemblent plutôt à des canards en plastique, prêtes à subir les affres du bain.

Certains modèles sont si hideux, comme le singe, qu'on n'en voudrait même pas dans les cabinets. Et bien sûr, de tous, c'est lui que Sega a choisi pour illustrer les couvertures européennes du jeu ! Après ils s'étonnent que la Saturn ait fait un bide chez nous.

Que ce soit sur Saturn ou Game Gear, la technique utilisée est la même. Le jeu reproduit en bitmap des graphismes 3D, un peu comme Donkey Kong Country ou Sonic 3D Blast, mais en utilisant des modèles plus primitifs, encore trop géométriques, non-texturés, typiques de ce milieu des années 90. Souvenez-vous par exemple de Cléo qui présentait Cyber Flash sur Canal+ ou des premiers courts métrages du festival Imagina.

C'était déjà laid en 1996, c'est toujours aussi laid aujourd'hui. Toutefois, sur Game Gear, la réduction du graphisme aidant, le résultat est moins repoussant que sur Saturn et on finit par s'y habituer, voire même par trouver certains personnages attachants. Le singe lui est toujours aussi dégueu.

Parmi ces têtes plus sympathiques que les autres, il y a Polly. Ca tombe bien, Polly est l'héroïne. Avec ses boucles blondes et ses grands yeux, c'est bien une poupée. Elle est coachée par Master Piggy, un cochon qui s'habille comme Gandalf. De là à dire que Gandalf s'habille comme un cochon...

Un autre bonhomme rigolo est Gyoroppi (Gallopy sur Saturn). Un mélange entre un canard et un pingouin, avec une antenne sur son crâne vert, une bouche et des yeux démesurés... Etonnant que Sega n'ait pas glissé sa frimousse ailleurs. Malgré son côté âge biberon, il avait des allures de mascotte. On croise aussi... Dural ?! Cette fois, Sega manque d'imagination et nous ressert un sosie de leur mannequin vivant de Virtua Fighter, qui s'appelle ici Silver Angela. La miniaturisation profite également à la Princesse. Sur Saturn, franchement, on aurait dit une poupée gonflable.

En mode Training, on dispute juste 3 matchs, contre Maître Cochonou, l'infirmière un peu fofolle, virevoltant avec sa seringue géante, et puis Gon, qui est un rival mais aussi le pendant de Polly, puisqu'il est le joueur 2 dans toutes les versions. Dans les modes Normal et Hard, on affronte des challengers sur la route du château, puis dans la cour même, et enfin l'épreuve finale a lieu dans la salle du trône. De 7 à 9 matchs selon le mode.

Après chaque victoire on reçoit un mot de passe. Cette attention paraît excessive. On n'a nul besoin de codes en entraînement et on se débrouille relativement bien sans dans les autres modes aussi. La seule raison qui justifierait une telle bonté, c'est l'autonomie de la console, assez gourmande en piles comme on le sait. Elle a sans doute aussi sa part dans la brièveté des jeux; à moins que ce ne soit pure paresse, comme sur Master System.

Le mode Hard propose une fin légèrement différente... et un mot de passe mystérieux. Au cas où vous l'auriez raté ou ne comprendriez pas son usage, consultez notre rubrique trucs et astuces.

La durée de vie de Baku Baku Animal, avec ou sans mots de passe, n'est de toute façon pas phénoménale. A sa sortie, paraît-il, la version Saturn avait été très bien reçue — en tout cas par la presse anglophone. En France, je n'ai aucun souvenir de son accueil et ma curiosité n'est pas assez piquée pour me donner envie de fouiller. Le jeu vidéo comme on le connaissait avait déjà bien changé, mais si on compare Baku Baku Animal à tous les jeux de réflexes et réflexion sortis avant lui, on se dit tout de même qu'il n'y avait rien de bien exceptionnel dans le principe. Les critiques d'alors avaient-ils la mémoire courte ?

Si l'effacement par ingurgitation est amusant, la faiblesse ici est que tous les matchs prennent la forme de duels : on joue toujours contre un adversaire, il n'y a pas d'autre mode. De ce fait, la victoire dépend systématiquement du produit des enchaînements qui retombe sur les empilements d'en face. Il peut nous submerger soudainement, même si l'on joue bien, ou inversement, tomber à pile et nous permettre de gagner. Même situation pour l'ordinateur. Il n'y a que le hasard entre un bloc bien et mal placé.

Et c'est tout le problème. En dépit d'adversaires aux capacités différentes, on n'est jamais vraiment sûr de gagner par le talent ou par la chance. La reine nous tient en échec, et puis soudain, elle perd, alors qu'on ne jouait pas mieux que d'habitude; c'est qu'elle s'est emmêlée les pinceaux, un bloc agitateur est venu gâcher ses projets de combos. Il se présente comme une petite aventure, mais le mode principal n'est en réalité qu'un mode 2 joueurs contre une intelligence artificielle avec le hasard pour juge. Ce n'est jamais ce qui donne les meilleurs jeux de ce type.

Prenez Columns, Tetris ou Dr Mario, tous ont un mode duel, mais il n'est pas seul, et aucun de ces classiques n'a la naïveté d'en faire son mode principal. Il n'est pas assez captivant pour tenir en haleine un joueur confirmé.

Comme beaucoup de titres Game Gear, Baku Baku Animal jouit ou souffre de sa superficialité. Tout dépend de l'usage que l'on fait de la console. Brûlez-vous vos batteries en une ou deux parties, ou bien les faites-vous durer des mois ? C'est sans doute ce qui déterminera votre rapport avec la plupart des jeux Game Gear, y compris celui-ci.

La version Game Gear ne s'en sort pas si mal comparée à sa grande soeur, la Saturn. Pour une console si performante, Baku Baku Animal fait un peu tache. Mais pas sur la petite ! La réalisation est minimaliste mais soignée, la suppression de l'animation sur les blocs se révèle être une bonne chose, les petites mélodies dans le style de la salle aux jouets de Castle of Illusion sont tout à fait recommandables.

On a évoqué le graphisme qui ironiquement gagne à être moins visible, un autre atout est la plus grande scénarisation. Les affrontements se suivent et se ressemblent; avec le décor, il n'y a que les dialogues infantiles pour briser une certaine monotonie. Ces conversations sont présentes sur Saturn mais uniquement dans la version japonaise. Ils ont dû croire que ces badineries étaient trop bêtes pour nous autres Occidentaux, mais ils ont eu tort : nous sommes bien plus bêtes que cela !

A noter qu'il existe une version Master System non-officielle de Baku Baku Animal, au Brésil uniquement, donc réalisée et distribuée par Tec Toy. Sans grand intérêt. A moins que vous viviez là-bas.

L'attrait principal de Baku Baku Animal est aussi ce qui en fait sa faiblesse : il est toujours bon enfant. C'est un jeu tout public et même trop public, où le mode Hard ne pose pas de grandes difficultés (hormis la reine, mais on sait comment ça finit). A ceux qui s'amusent à nourrir ces animaux voraces mais regrettent que le défi ne soit pas à leur hauteur, je n'aurai qu'un conseil à leur donner : achetez-vous un hamster ou faites des gosses ! Dans mon cas, nourrir ma personne vaut bien un hypothétique mode Very Hard de Baku Baku Animal !